Penser aux biberons et à la layette, mais surtout bien garnir la bibliothèque : pour les jeunes parents, cette dernière étape est devenue incontournable. Sur un an, les ventes de livres sur la relation parents-enfants, de la grossesse à la pédagogie, a progressé de près de 18 % en nombre d’exemplaires et de 22 % en valeur selon GFK (voir graphique ci-dessous). "On a plus conscience aujourd’hui que le travail de parent est quelque chose qu’il faut apprendre", analyse Catherine Meyer, psychologue et éditrice aux Arènes. On parle désormais volontiers de "parenting", un mot qui vient du monde anglo-saxon, comme de nombreux auteurs du secteur, et qui, comme le mot français "parentalité", est un néologisme. "Ça consiste moins à s’intéresser à qui est le parent qu’à ce qu’il fait", résume Claude Martin, sociologue spécialisé dans les politiques publiques de la famille. Pour Hélène Gédouin, directrice éditoriale chez Marabout, "c’est un mot-valise facile à utiliser, un terme qui peut englober toutes les catégories, le soin des parents aux enfants, que ce soit en termes de santé ou de psychologie".
Si le vocabulaire évolue, le secteur, lui, est déjà ancien : "Le premier livre pratique que nous avons publié est celui du pédiatre américain Benjamin Spock dans les années 1970", rappelle Hélène Gédouin. En France, J’attends un enfant et J’élève mon enfant, publiés dans les années 1950 et 1960 par la journaliste Laurence Pernoud, ont atteint le stade de véritable institution (voir encadré p. 49). Mais récemment, la demande est devenue plus forte. "C’est un axe prioritaire de notre plan à moyen terme, c’est un secteur qui marche très bien", confirme Gwénaëlle Painvin, responsable éditoriale chez Eyrolles. Longtemps concentré sur des ouvrages de référence, Hachette Pratique a aussi senti le besoin de redéployer son offre en 2015, "en allant chercher des auteurs et des thématiques élargies, en allant dans l’éveil, le bien-être, l’éducation", explique Caroline Terral, responsable de projets éditoriaux.
Neurosciences et bienveillance
Car c’est aujourd’hui sur le plan psychologique que se joue la révolution des culottes courtes, ou en tout cas celle de leurs parents. "Il y a eu un changement de paradigme ces vingt dernières années, détaille Catherine Meyer. Ce changement a vu converger dans une même direction plusieurs mouvements différents, autour des concepts de bienveillance, de communication non violente, et de pédagogie positive." Parallèlement, les progrès de l’imagerie médicale ont permis de comprendre de mieux en mieux le fonctionnement du cerveau de l’enfant, à l’image de l’ouvrage de la pédiatre Catherine Gueguen, Pour une enfance heureuse (Robert Laffont). "Je pense qu’on reprend des fondamentaux d’une telle manière que le message passe aujourd’hui", relativise cependant Mathilde Nobécourt, psychologue et éditrice chez Albin Michel de la collection "Questions de parents". "Dolto, dans l’art d’être parent, ce n’était pas du laxisme mais déjà de la bienveillance", ajoute-t-elle.
Si ces solutions sont aujourd’hui très prisées, cela n’a pas toujours été le cas. "En France, pendant longtemps, il y a eu beaucoup de livres plutôt angoissants sur le sujet, on parlait beaucoup des problèmes avec l’enfant. Tout était placé sous le signe de l’anxiété", relève Catherine Meyer. "La France est mal positionnée dans les comparaisons internationales sur la question de savoir si les jeunes considèrent facile ou non d’aborder les sujets importants avec leurs parents", rappelle Claude Martin. On note d’ailleurs que l’ouvrage de référence de Fitzhugh Dodson, titré en anglais How to parent (qu’on pourrait traduire par "Parent, mode d’emploi"), arrive en France en 1972 sous le titre un brin anxiogène, Tout se joue avant 6 ans (Robert Laffont et Marabout pour le poche). Il figure toujours aujourd’hui parmi les livres les plus vendus sur le sujet, aux côtés d’autres auteurs, aux titres plus positifs, qui ont émergé sur ces thématiques.
L’une des figures de proue de ce mouvement, la psychothérapeute Isabelle Filliozat, a déjà plusieurs best-sellers à son actif, en grand format chez Lattès et en poche chez Marabout. "Le succès a commencé avec J’ai tout essayé, publié en 2011, raconte-t-elle. Le livre comprenait plein de petits dessins, des explications sur les neurosciences, et des outils très concrets qui fonctionnent réellement et très rapidement." Le périmètre de l’auteure, qui préfère évoquer une parentalité "empathique" plutôt que "positive", est large, puisqu’elle donne aussi de nombreuses conférences, et a mis en place des ateliers pour parents fondés sur ses préceptes. On retrouve une configuration identique chez Adele Faber et Elaine Mazlish, auteures de Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, et publiées au Phare, une maison créée par leur traductrice en français Roselyne Roy, aussi au centre de conférences et d’ateliers.
Déculpabilisation
Malgré une implication des pères dans l’éducation des enfants de plus en plus importante, ces lectures restent encore souvent l’apanage des mères. Aussi, plusieurs éditeurs ont fait le choix de distinguer leur offre, et de s’adresser plus particulièrement aux jeunes papas. First y dédie toute une gamme, notamment avec Papa débutant dans la collection "Ma p’tite famille !", tandis que Leduc.s présente le Guide de survie du jeune papa. "Les grands-parents constituent un nouveau marché à conquérir", s’enthousiasme Karine Bailly, directrice éditoriale chez Leduc.s. Des nouveaux publics et de nouveaux terrains d’expérimentation apparaissent, après la méditation pour enfants (voir encadré ci-dessous), le yoga, l’hypnose ou même les haïkus. "Toutes les thématiques du bien-être grand public glissent petit à petit vers le parenting", juge Caroline Terral. Les problèmes, eux aussi, évoluent : la gestion des écrans et de l’attention est devenue un enjeu majeur.
Et parce que la bienveillance, ce n’est pas que pour les enfants, se développe en parallèle toute une littérature humoristique de déculpabilisation des parents, autorisés à ne pas être forcément parfaits, comme le montre le succès de La mère parfaite est une mytho ! de Virginie Duplessy chez L’Opportun. "Avant, on faisait comme si tout était facile. A un moment, les gens ont eu envie de dire vraiment ce qui se passait, de dire aux copines que ce n’est pas tout rose", souligne Aurélie Starckmann, directrice éditoriale chez First, qui édite un Journal intime d’une mère indigne.
Secteur en plein développement, le parenting est aujourd’hui dynamisé par la demande des parents, "mais aussi souvent pas des éditrices, elles-mêmes mères, qui ont envie de faire bouger les choses", souligne Mathilde Nobécourt. "On n’en est qu’au début, il y a tout le temps des nouvelles découvertes, se réjouit Caroline Terral, avant de poursuivre : On travaille pour faire des adultes épanouis et heureux."
Le parenting en chiffres
Les nouvelles Maria Montessori
Les expériences pédagogiques menées notamment à base de matériel sensoriel par la pédagogue italienne suscitent aujourd’hui un intérêt renouvelé des éditeurs et des lecteurs.
L’incroyable succès de Céline Alvarez, dont l’essai Les lois naturelles de l’enfant (Les Arènes) s’est écoulé à plus de 200 000 exemplaires en six mois, est une preuve supplémentaire que l’éducation est une préoccupation majeure, en librairie et ailleurs. A l’origine de l’expérience culottée de cette linguiste, menée dans une école maternelle de Genevilliers, on retrouve une inspiratrice dont les préceptes ne cessent d’être redécouverts : la pédagogue Maria Montessori. Ce sont ses théories fondées sur l’autonomie de l’enfant, enrichies d’avancées scientifiques contemporaines, en psychologie et en neurosciences, qui ont guidé la démarche de Céline Alvarez. Remisées un temps dans les archives de l’histoire de la pédagogie, les expériences menées notamment à base de matériel sensoriel suscitent aujourd’hui un intérêt renouvelé.
Problème : les écoles Montessori sont rares, souvent chères. Pour les parents, envisager d’y scolariser son enfant soulève aussi des inquiétudes quant à son intégration future dans un parcours classique de l’Education nationale. C’est pourquoi les parents sont nombreux à adopter la solution d’appliquer ces méthodes à la maison. Un besoin auquel les éditeurs ont très tôt répondu, comme Nathan, en 2007 avec Eveiller, épanouir, encourager son enfant : la pédagogie Montessori à la maison. "La particularité de Nathan, éditeur scolaire historique, c’est d’avoir développé très tôt ce qu’on appelle le matériel éducatif qui repose sur la manipulation. La pédagogie Montessori nous est donc apparue comme quelque chose de très naturel", explique Marianne Durand, directrice générale de Nathan Univers Jeunesse. Aujourd’hui, une trentaine de produits, des guides pratiques au matériel de manipulation, sont entrés dans la gamme dédiée à cette pédagogie.
Participation positive
Depuis deux ans, le mouvement s’est encore accéléré. "Il y a une vraie montée en puissance", confirme Gwénaëlle Painvin, responsable éditoriale chez Eyrolles, qui a commencé à proposer un livret de jeux d’éveil Montessori en 2008. "Même quand l’enfant est dans une école traditionnelle, il y a vraiment une envie de la part des parents de faire des choses plus participatives et plus positives, sans forcément toujours pointer l’erreur", ajoute-t-elle. Son offre comprend des coffrets Montessori, comme Les lettres rugueuses, utilisables par les enfants avec les parents ou en autonomie. Vivre la pensée Montessori à la maison d’Emmanuelle Opezzo, publié chez Marabout en 2015, s’est vendu à 30 000 exemplaires. "Cela a pris tout de suite, on n’avait pas du tout anticipé ce succès, explique Hélène Gédouin, directrice éditoriale chez Marabout. Il y a une insatisfaction des parents par rapport à l’école, ils sont très soucieux du développement de leur enfant." Si les offres se multiplient, la demande suit aussi, assurent les éditeurs du secteur.
Attention cependant : "On ne peut pas coller l’étiquette Montessori sur tout et n’importe quoi, c’est vraiment un système pédagogique complet qui s’organise par périodes, dans lequel chaque enfant doit progresser à son propre rythme", rappelle Marianne Durand. "Cela signifie qu’un cahier d’exercices estampillé grande section de maternelle, par exemple, cela n’a pas de sens : cette pédagogie ne fait pas de distinction d’âge aussi précise, et le support cahier induit un ordre et une progression éloignés des préceptes de Montessori." La pédagogue n’ayant jamais déposé de marque à son nom, chacun peut, dans les faits, se revendiquer de sa théorie. L’éditeur est le garant de la compétence de l’auteur.
De même, il n’est pas toujours facile de se retrouver dans les différentes mouvances des pédagogies alternatives qui, toutes, de Fröbel à Freinet, en passant par Steiner-Waldorf, connaissent une nouvelle jeunesse. Pour aider les parents à y voir plus clair, Eyrolles a publié en avril Le grand guide des pédagogies alternatives, incluant des activités pratiques pour les enfants, et First prépare pour la fin de l’année un ouvrage d’information sur les différentes méthodes.
Meilleures ventes : des parents positifs
A l’école des meilleures ventes, ce sont les éditions des Arènes qui arrivent bonnes premières de la classe.
Les lois naturelles de l’enfant de Céline Alvarez, publié en septembre 2016, et Calme et attentif comme une grenouille d’Eline Snel, dont la première édition date de 2012, survolent le classement des cinquante ouvrages les plus vendus du secteur, et, avec la troisième marche du podium, Philosopher et méditer avec les enfants de Frédéric Lenoir (Albin Michel), confirment le dynamisme d’un secteur où le grand format trouve facilement sa place.
A l’image des deux best-sellers, on trouve dans la suite du classement à la fois des ouvrages de fond, valeurs sûres comme J’élève mon enfant de Laurence Pernoud (16e) ou Tout se joue avant 6 ans de Fitzhugh Dodson (17e), concurrencés par des parutions plus récentes, comme Les 50 règles d’or de l’éducation positive, publié l’an dernier chez Larousse (8e).
D’ailleurs, la plupart des ouvrages les plus prisés épousent cette mouvance de l’éducation dite positive ou bienveillante, dont les égéries se placent dans les 20 premiers : la psychothérapeute Isabelle Filliozat y place pas moins de quatre ouvrages, dans la collection "Poche Marabout", à l’instar de la psychologue américaine Jane Nelsen, aux côtés de la pédiatre Catherine Gueguen, chez Pocket.