Heureux mais pas sereins. Alors que les éditeurs de livres parascolaires abordaient 2020 avec une certaine confiance, forts et d'un marché solide en 2019 (+0,5% d'après nos données Livres Hebdo/I+C) et d'un début d'année en très nette progression, la crise sanitaire et le confinement lié au Covid-19 ont complètement bousculé la donne. Si les ventes se sont encore envolées en mars, certains segments tel le soutien en maternelle et en primaire enregistrant des scores à 3 chiffres, avril a douché les espérances. La fermeture de la plupart des points de vente hormis les hypermarchés et quelques sites de vente en ligne dont fnac.com a engendré un recul des ventes de 26% selon GFK. Malgré une reprise encourageante dès le 11 mai, les éditeurs s'attendent à une perte de chiffre d'affaires conséquente sur les deux derniers mois du printemps, période traditionnellement forte pour le parascolaire, et demeurent tout aussi circonspects pour l'été.
Rester prudent
« Les parents qui ont assumé et assument encore l'école à domicile vont continuer à avoir besoin d'outils de révision faciles, d'autant que le retard pris va susciter des inquiétudes », espère tout de même Cécile Labro, qui dirige pour quelques semaines encore le parascolaire chez Hachette Education avant de prendre ses fonctions de directrice financière chez Larousse et Hachette Boardgames. « Mais il faut rester prudent, tempère Laurent Breton, directeur du pôle grand public chez Magnard. On peut certes augurer une bonne année, portée par les suites du confinement et la perspective du bac 2021, mais les interrogations restent nombreuses. Les points de vente ont souffert et le comportement des consommateurs peut se retourner rapidement. » La directrice du département grand public de Bordas, Anne Langlois, redoute également l'effet combiné de commandes resserrées faute de trésorerie et de place dans les librairies et d'un éventuel « rejet du parascolaire pendant les vacances. Avoir fait l'école pendant plus de deux mois risque d'affaiblir la volonté des parents de réviser durant l'été. » Dans l'expectative, les éditeurs de parascolaire ont toutefois décidé de maintenir le cap et de ne pas chambouler leurs programmes éditoriaux. Seuls quelques lancements de collections ont été reportés en 2021. En revanche, les opérations liées aux vacances, quasiment toutes prêtes avant le confinement, et celles programmées à la rentrée, très centrée autour du nouveau baccalauréat, ont été maintenues. « La crise sanitaire a mis en évidence la nécessité du parascolaire, qui a agi comme un complément de l'école, et du papier comme outil indispensable : toutes les familles n'ont pas un accès identique au numérique », souligne Quentin Gauthier.
Les restrictions s'appliquent surtout à de la communication et du marketing, pour lesquels les maisons se montrent désormais « très attentives aux dépenses, note la directrice parascolaire d'Hachette Education. Chez Nathan, les campagnes digitales web to store vont être privilégiées pour faire connaître les produits et leurs avantages fondamentaux », annonce Quentin Gauthier. La filiale d'Editis s'appuiera notamment sur ses sites Lea (L'école à la maison) et Réussir avec Nathan, entièrement refondu au printemps.
Engouement pour les cahiers de vacances
Malgré ces dispositifs, la campagne des cahiers de vacances, premier vrai test post-confinement, risque de se révéler imprévisible. Envoyés dès la réouverture des librairies, les titres ont commencé à s'écouler immédiatement alors que traditionnellement, le pic des ventes s'installe fin juin et début juillet. « Je n'ai jamais vu des cahiers de vacances partir aussi tôt, observe Quentin Gauthier. Nous aurons donc peut-être des ruptures sur ce segment, ce qui est extrêmement rare. » Cet engouement pourrait rebattre les cartes entre les éditeurs et les collections dominantes du segment. D'autant que, lassés de l'école à la maison et en attente d'outils de révision moins conventionnels, les parents plébisciteront peut-être plus facilement les produits ludo-éducatifs sur lesquels la majorité des maisons avait, sans pouvoir prévoir le contexte, porté leurs efforts. Entièrement refondues pour accroitre leur dimension ludique, « Jouer pour réviser » chez Hachette Education ou « Une saison au zoo » chez Larousse, rebaptisée « Mes jeux de vacances, une saison au zoo », pourraient ainsi trouver un plus large public.
Mais, pour distraire les enfants tout en les faisant travailler, les éditeurs ont misé cette année sur l'escape game. Testée en 2019 chez Larousse dans la collection des « Petits génies », la formule est reconduite cette année avec trois nouveaux titres (du CE2 au CM1, de la 6e à la 5e et de la 5e à la 4e) auxquels s'ajoutent deux déclinaisons bilingues pour le collège : Sherlock and Watson escape book sous la marque Larousse et The mystery of the Speckled band chez Harrap's. Devant le succès de leur concurrent, Nathan et Hachette dotent « L'énigme des vacances » et « Mes petites énigmes » d'une déclinaison escape game comportant chacune trois titres. Chez Hatier, Rachel Duc, directrice parascolaire et jeunesse, a préféré introduire dans chaque « Hatier vacances » un livret d'escape game qui, une fois l'énigme résolue, permet d'obtenir un code et de poursuivre le jeu en version numérique. « C'est une nouvelle manière d'inciter à finir le cahier », explique l'éditrice.
Désireuse de « revenir en force » sur le marché des cahiers de vacances, Rachel Duc commercialise en outre deux nouvelles collections. Rompant avec le traditionnel décor balnéaire et les couleurs jaune et bleu, les 5 titres (du CP à l'entrée en 6e) des « Cahiers de vacances nature » présentent un visage très vert. La couverture et les activités, exercices et conseils sont centrés sur la campagne, les animaux, le recyclage et l'écologie. En maternelle, l'éditrice s'appuie sur le succès rencontré en début d'année en soutien par le personnage de Petit ours brun pour déployer la licence sur 4 cahiers de vacances, de la très petite section au CP. Le pari est audacieux, les licences ne recueillant plus autant les faveurs du public sur ce segment. Play Bac adopte pourtant la même stratégie. Après Fort Boyard, Star Wars et Simon, l'éditeur des « Incollables » fait entrer dans son giron la marque Pokémon avec cinq références consacrées aux maths et au français à destination des élèves du primaire.
Privilégier le visuel
Deuxième enjeu de l'année, la préparation aux examens, qui reste le troisième segment en valeur du parascolaire, représente une autre source d'incertitude pour les éditeurs. En constante contraction depuis de nombreuses années, les ventes avaient repris des couleurs au second semestre 2019 et début 2020 grâce à la réforme du lycée (1). Mais le passage du brevet et du bac en contrôle continu a stoppé net l'élan « alors qu'on était dans la dernière ligne droite. C'est un gros pan de chiffre qui saute », soupire Rachel Duc. « En pagaille » selon Anne Langlois, segment suscite tout de même un certain espoir. Première édition sous son nouveau format, le bac 2021 « reste à passer l'année prochaine », martèle Cécile Labro.
Les éditeurs ont donc mis le cap sur la terminale et dirigé l'essentiel de leurs investissements sur la refonte des ouvrages consacrés à cette classe et aux révisions, qui arriveront en librairie entre début juillet et septembre. Comme pour la seconde et la première l'année dernière, l'accent a été mis sur la méthode, le coaching et le caractère visuel des contenus grâce à la multiplication de schémas, de dessins, de tableaux et de cartes mentales. Porteuse de succès - « Hatier est passé en 2019 de 37 % de part de marché à 42 % sur le segment », se félicite Rachel Duc - la maquette déployée pour la gamme Prépabac en seconde et en première est ainsi reconduite pour les 23 références de terminale. « Avec son aspect snacking, qui fonctionne par double-pages concises offrant des solutions immédiates, beaucoup de résumés visuels et la part-belle à la méthode, notre offre est très accompagnante tout en permettant de picorer à droite et à gauche », analyse l'éditrice.
La même volonté d'accompagnement a provoqué la refonte totale des annales chez Nathan. Fruit d'un travail conjoint entre enseignants et élèves, le nouveau concept dépasse le modèle classique du sujet et de son corrigé pour proposer « un décryptage total du sujet, une explication sur la manière de le traiter et des corrigés annotés avec des points de méthode », précise Séverine Merviel. La directrice marketing et développement de Nathan secondaire espère ainsi redonner du souffle à un sous-segment en déshérence depuis de nombreuses années.
Accompagnement méthodologique
Chez Hachette, Cécile Labro a pris le parti d'accentuer l'accompagnement méthodologique sur les épreuves de philosophie et du grand oral. Pour démystifier la première, elle a confié Je réussis le bac philo à Monsieur Phi, un ancien professeur reconverti en youtubeur. L'éditrice espère une performance identique à celle engrangée en 2019 grâce à la bloggeuse Amélie Vioux, auteure de Réussis ton bac français, réédité cette année. Importante nouveauté de l'édition 2021 du bac, le grand oral bénéficie du même traitement. Ecrit par Cyril Delhay et Paul Vialart, professeurs à Sciences-Po, Je réussis mon grand oral, donne en priorité les clés de l'art oratoire dans son ensemble, de la structuration du discours à la préparation physique, détaille Cécile Labro. Seul sur ce créneau spécifique, Hachette Education aura tout de même à faire face à l'incontournable Bertrand Perrier et à Valérie Guerlin, respectivement auteurs au Livre de poche (LGF) de La parole est un sport de combat et du Petit manuel à l'usage de ceux pour qui l'oral est un cauchemar qu'Isabelle Dubois, directrice éditoriale de LGF, positionne résolument sur le public des bacheliers et des enseignants.
Très actif en 2019, Ellipses mise également sur les disciplines et les épreuves nouvelles sur lesquelles peu de ses concurrents se risquent. Les maths expertes et complémentaires, le droit et les enjeux du monde contemporain, le numérique et les sciences informatiques ou l'anglais mode contemporain vont donc faire rapidement leur apparition parmi les 80 ouvrages que la maison propose aux libraires. « Sortir vite sur ces spécialités nouvelles et peu explorées contribue à marquer notre différence », plaide Manon Savoye, directrice éditoriale d'Ellipses.
Approche multisensorielle
Plébiscité au lycée, le coaching irrigue également les ouvrages de soutien, en particulier au collège. « Dès la 6e, l'élève devient plus autonome. Les besoins d'accompagnement se font donc ressentir alors qu'en primaire, les parents restent très présents. Ils jouent pleinement ce rôle », analyse Monique Paillat, directrice éditoriale chez Nathan. Dans la lignée d'Hatier, qui a refondu cette année sa collection « Tout savoir » pour mettre l'enfant au cœur de son apprentissage et lui offrir une méthode multisensorielle, la filiale d'Editis a remis en vente fin mai « Mon coach collège », lancée en janvier et qui obéit au principe « mieux se connaitre pour mieux apprendre ».
Traditionnellement source d'innovations, le segment a vu naître cette année au moins trois nouvelles séries. Chez Magnard « Mon mémo », créée en 2017 par l'enseignante à l'origine du blog Lutin bazar, a muté en « Mes fiches mémo », qui fait là aussi la part belle au visuel. Cherchant à renouveler le domaine des premières lectures, ultra dominé par « Sami et Julie » d'Hachette Education, Hatier et Bordas ont lancé deux nouvelles formules. En quête d'une marque forte, Anne Langlois a noué un partenariat autour des personnages créés par Christian Jolibois et Christian Heinrich pour concevoir « Cocorico. Je sais lire avec les p'tites poules ».
Plus audacieuse, Rachel Duc a choisi d'adapter le concept aux mathématiques. La gamme « Kim et Tom » propose six romans, dont trois programmés en juin, que complète une méthode pour apprendre les bases du calcul et des maths. « Les histoires représentent finalement un bon moyen pour montrer aux enfants que l'on se sert quotidiennement des maths et avancer pas à pas », souligne l'éditrice. De quoi, aussi, maintenir la dynamique enclenchée en début année sur le soutien et confirmée par le confinement, et faire patienter jusqu'aux nouvelles collections, repoussées pour certaines en début d'année prochaine pour « ne pas encombrer les libraires », assure Laurent Breton.
(1) Voir LH 1216 du 3.05.19, pp. 66-78.
Evolution des ventes au détail
Les ventes par catégories d'ouvrages
Les principaux éditeurs
Bacs technique et pro : coaching au programme
Tout comme les baccalauréats de la filière générale, les bacs technologiques et professionnels entrent en septembre prochain dans la deuxième année de réforme. De moindre ampleur puisqu'elle conserve les séries (STI2D, ST2S et STMG en technique), elle oblige néanmoins les éditeurs à revoir leurs copies. Tous les ouvrages de terminale des collections Reflexe (Nathan), Objectif Bac (Hachette Education) et Prépabac (Foucher) font peau neuve avec la même volonté de proposer des maquettes privilégiant la visualisation des contenus. Foucher, en particulier, a même introduit des vidéos accessibles grâce à des QR code imprimés dans les ouvrages. La maison propose également une aide à l'orientation grâce à un partenariat avec l'association Inspire, spécialisée dans l'orientation des bacheliers.
Calligram s'installe dans l'éducation
Porté par le succès des cahiers de vacances Max et Lili lancés l'année dernière, Calligram fait un pas de plus en 2020 dans le domaine du parascolaire. Toujours à l'effigie des célèbres personnages jeunesse, l'éditeur crée des cahiers de soutien : 6 titres couvriront le primaire et seront envoyés aux libraires en octobre. « Les 200 000 exemplaires des cahiers de vacances écoulés en 2019 nous ont incité à poursuivre dans cette voie », indique Christian Gallimard, P-DG de la maison. L'ensemble, auquel s'adjoignent deux manuels sur le vivre ensemble, est rassemblé sous un label Calligram Education et diffusé par les équipes maison.
Nouvelles collections de classiques
Sur un marché en pleine croissance, les éditeurs inaugurent des séries qui entendent faciliter l'accès aux œuvres et font appel au son et à la vidéo.
Même si le confinement a porté un coup d'arrêt brutal à la croissance du marché des classiques pédagogiques, les éditeurs gardent le sourire. Selon GFK, entre avril 2019 et mars 2020, les ventes ont bondi de 16,6% en valeur et de 18,2 % en exemplaires. Une performance que le segment doit indubitablement à la réforme du bac français. « En imposant des œuvres, le changement des programmes a certes fermé la liberté pédagogique, mais a eu le mérite d'encadrer les lectures », estime Cécile Labro, directrice du parascolaire chez Hachette Education. A tel point qu'Isabelle Dubois, directrice éditoriale des classiques et de la non-fiction au Livre de poche (LGF) a vu « beaucoup de classiques hors édition parascolaire progresser nettement, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps ».
Bénéfique pour l'ensemble des éditeurs, la réforme a tout de même rebattu certaines cartes. Même si Flammarion conserve sa place de leader sur le segment grâce à ces trois collections (GF, Librio et Etonnants classiques), la maison s'est fait détrôner de la première marche sur le champ strict des classiques, et notamment ceux prescrits pour le bac, par Hatier. La filiale d'Hachette récupère là le bénéfice du « gros travail de prescription entrepris depuis de longues années », se félicite Rachel Duc, directrice du parascolaire d'Hatier. Toutefois, les positions devraient s'inverser dès cette année, Flammarion étant la seule maison à disposer des droits de Juste avant la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce, qui entre au programme à la rentrée.
Envoi précoce des spécimens
Autre éditeur en forme, Belin affiche un éclatant 17 % de croissance grâce à une mise en place massive dans les librairies conjuguée à un envoi précoce des spécimens. « Nos ouvrages figuraient parmi les rares propositions que les enseignants ont eues entre les mains en même temps que les manuels », assure Turiane Guitton, responsable marketing de la filiale d'Humensis. L'édition de quasiment toutes les œuvres prescrites pour le baccalauréat a aussi participé au succès. Pour conserver son avance, et dynamiser les ventes non liées au bac, Belin lance fin août deux nouvelles collections. « Déclic : vous allez aimer lire », s'adresse aux collégiens qui, justement, n'aiment pas lire. La mise en page aérée et attrayante et l'introduction de ressources numériques (son et vidéo) adaptées à l'utilisation en classe comme à la maison doivent solliciter tous les sens des élèves et leur faciliter l'accès au texte. Huit titres sont programmés parmi lesquels La belle et la bête, Les fourberies de Scapin et L'évasion d'Arsène Lupin. A la même date et obéissant au même objectif d'accessibilité, « Not so classic », proposera aux lycéens quatre œuvres en version originale.
Trois autres nouvelles gammes voient le jour cette année sur le segment des classiques avec pour ambition de faciliter la lecture des textes. Dans la lignée de « Boussole », conçue par Belin en 2016 pour introduire les grands classiques au primaire, notamment au cycle 3, Larousse a imaginé « Mes premiers classiques Larousse ». Quatre titres ont été commercialisés en janvier dont Peter pan et Tom Sawyer. S'adressant aux plus grands, Flammarion repense l'édition des grandes œuvres de philosophie grâce à « GF philo' ». Destinée aux étudiants comme au public novice, la gamme se veut « moins trapue dans son approche afin que les textes puissent être lus sans aucun prérequis, explique Pauline Kipfer, directrice éditoriale poche de Flammarion. L'ajout de références, d'auteurs et d'extraits en lien avec les thèmes abordés permet aussi de nourrir la culture philosophique du lecteur. »
Toujours pour les lycéens, Nathan creuse le sillon tracé par les « Profil » d'Hatier avec « Une œuvre, un parcours ». Ne proposant pas le texte intégral mais des clés pour le comprendre, des citations et des sujets de dissertation ainsi qu'un entrainement à l'oral, la collection a été inaugurée par quatre titres en janvier. Elle s'enrichira à la rentrée des trois nouvelles œuvres prescrites pour les filières générales du bac.
Les 50 meilleures ventes en parascolaire
En perte de vitesse l'an dernier, les classiques pédagogiques regagnent du terrain dans le classement Livres Hebdo/GFK des 50 meilleures ventes de livres parascolaires sur la période avril 2019-mars 2020. Ils sont onze dans le palmarès dont, en 16e position, La folle journée ou le mariage de Figaro édité par Belin. La filiale d'Humensis se taille d'ailleurs une part de lion avec cinq ouvrages classés dans le Top 50, talonnée par Hachette Education qui installe quatre titres.
Cette progression se fait au détriment des cahiers de vacances, qui perdent à nouveau 5 places à un an d'intervalle. Si les « Passeport » d'Hachette Education maintiennent le cap avec dix titres, « Nathan vacances » voit disparaître quatre références du top. En revanche, le loup d'Auzou poursuit son ascension. Au 35e rang l'année dernière, Je rentre en CP avec le loup se hisse à la 23e place cette année.