Saviez-vous que les mathématiques peuvent être belles ? C'est ce que compte bien prouver aux lecteurs la nouvelle édition du Beau livre des maths, de Pythagore aux Fractales, 250 découvertes qui ont changé le monde, paru chez Dunod le 19 octobre. « C'est un beau livre, avec de magnifiques photos, des textes plutôt courts qui expliquent les choses simplement. C'est vraiment un bon moyen de voir les maths différemment et de mieux les comprendre », explique Anne Pompon, responsable éditoriale « Science, nature et santé » de la maison. La première édition, sortie en 2010, s'était vendue à 32 000 exemplaires. Un beau succès qui prouve l'intérêt du public pour la vulgarisation scientifique.
Besoin de comprendre
Depuis quelques années, les ouvrages qui ambitionnent de rendre les sciences accessibles à un plus grand public adulte - les éditeurs jeunesse font eux-mêmes un travail conséquent en la matière au rayon documentaire - ont le vent en poupe. S'il n'existe pas de chiffres pour mesurer le phénomène puisque ces livres grand public sont classés au rayon sciences au même titre que les essais scientifiques ultra-pointus, la tendance est bien réelle. Les sujets qui séduisent le plus sont ceux qui font écho à l'actualité. Les neurosciences et le fonctionnement du cerveau, l'intelligence artificielle, le climat ou encore l'espace et la physique quantique figurent parmi les thèmes qui rencontrent le plus de succès.
Cet engouement s'explique par le poids de la science dans la société actuelle. Le climat, la santé, les avancées technologiques, la génétique... la grande majorité des enjeux contemporains sont en lien avec des questions scientifiques. « Le monde actuel est façonné par la science, souligne Olivia Recasens, directrice d'HumenSciences et de Belin Science et Nature. Quel que soit l'âge, les études, le rapport avec la science, les lecteurs sont confrontés à des problématiques scientifiques, que ce soit la PMA, la voiture autonome ou la biodiversité. Ils ont besoin de trier et décrypter toutes les informations dont ils sont abreuvés » Les éditions du Muséum d'histoire naturelle ont lancé une nouvelle collection, « Manifeste », pour investir le débat public et faire entendre un discours scientifique fort sur une question de société précise. Le 7 novembre, est paru leur troisième manifeste, consacré aux relations entre les humains et les autres animaux.
Pour répondre à « ce besoin de comprendre » du public, comme le nomme Anne Pompon, les maisons d'édition spécialisées en science ont quasiment toutes lancé des collections dédiées à la science « ludique ». Chez Flammarion par exemple, chez qui la science fait partie depuis toujours de l'ADN de la maison - le premier livre édité fut celui de l'astronome Camille Flammarion, frère d'Ernest le fondateur, et l'éditeur compte des auteurs prestigieux comme Stephen Hawkins à son catalogue -, une collection de science ludique existe depuis 2016, à l'initiative de Christian Counillon, directeur littéraire en charge des sciences.
« Nous publions des essais scientifiques purs, s'adressant le plus souvent à des lecteurs qui ont une formation scientifique initiale, explique Christian Counillon. Mais pour toucher un public plus large, curieux, mais qui a parfois peur de ne pas comprendre, nous avons développé une nouvelle offre. L'objectif est de réussir à parler de science autrement. Nous voyons bien qu'il y a un intérêt du public pour ce genre d'ouvrages, comme le prouve le succès de Christophe Galfard par exemple dont Univers à portée de main a dépassé les 100 000 exemplaires, poursuit l'éditeur. Pour cela, nous faisons appel à une nouvelle génération d'auteurs, comme le physicien Julien Bobroff, qui a publié en début d'année Mon grand mécano quantique, un ouvrage de vulgarisation sur la physique quantique, qui s'est déjà vendu à 8 000 exemplaires. » En novembre, va paraître Very math trip, un ouvrage écrit par Manu Houdart, agrégé de mathématiques, qui cartonne actuellement avec son spectacle de stand-up du même nom dans lequel il nous apprend que les mathématiques sont bien plus marrantes que ce qu'on pense et surtout qu'elles sont partout. Un exemple ? Le fameux théorème de Pythagore qui peut se cacher sur un terrain de foot. Et les mathématiques réussissent à Flammarion, qui a publié en octobre Le théorème du parapluie, nouveau texte du youtubeur Mickaël Launay (Micmaths), trois après le succès de son Grand roman des maths (100 000 exemplaires en grand format et poche).
Science pop
L'éditeur n'est pas seul à avoir ainsi élargi son offre scientifique. Chez Dunod, autre incontournable de l'édition scientifique, la collection « Quai des sciences », lancée en 2003, poursuit le même objectif : toucher un public plus large, en publiant chaque année 3 ou 4 titres - des essais, mais aussi des beaux livres ou des bandes dessinées. Une collection de poche « Ecko poches » proposant des essais de grands scientifiques connus, comme Aurélien Barrau, existe depuis 2018. Quae, maison adossée à quatre instituts (le Cirad, l'Ifremer, l'Inra et l'Irstea) a ainsi développé tout un pan grand public dans son catalogue avec notamment la collection « Clés pour comprendre », qui accueille par exemple le 14 novembre une nouvelle édition de Toutes les bières moussent-elles ? par Jean-Paul Hébert et Dany Griffon. Idem chez Humensis, où Olivia Recasens, chargée du secteur Sciences et Nature chez Belin, propriété du groupe, a créé en janvier 2019 HumenSciences, une maison dédiée à la science pop. « C'est un concept qui existe déjà dans les pays anglo-saxons, détaille-t-elle, et qui associe les codes et la rigueur de l'édition scientifique avec un graphisme pop. C'est aussi dire des choses justes avec des mots simples, pour à la fois faire plaisir aux lecteurs qui aiment la science et attirer un nouveau public ». Dix-sept titres ont déjà été publiés, avec des titres accrocheurs comme Tout est chimie dans notre vie ou Votre cerveau est un super-héros. Quant aux ouvrages estampillés Belin, ils suivent aussi la tendance : début 2020, un ouvrage baptisé Vous aimez les maths sans le savoir va paraître. Richement illustré, bourré d'énigmes à résoudre, il ambitionne de montrer les maths sous un jour bien plus drôle.
Même chez CNRS éditions, qui travaille main dans la main avec l'institution scientifique, l'heure est à la vulgarisation. Depuis quatre ans, la directrice générale, Blandine Genthon, œuvre pour développer les projets dans ce sens. Elle a notamment contribué à créer Carnets de science, il y a trois ans, une revue-livre accessible qui s'intéresse à l'ensemble de l'actualité de la recherche scientifique, publiée tous les six mois. « Nous y proposons aussi bien des reportages dans les labos, des carnets de mission de chercheurs que des points de vue engagés. Chaque numéro se vend entre 5 000 et 7 000 exemplaires, c'est un vrai succès. », précise-t-elle.
Tous ces ouvrages de vulgarisation scientifique ont un point commun : ils sont le fruit d'un important travail éditorial, tant sur le texte que sur la forme, pour rendre le discours scientifique intelligible à tous et attrayant. Oubliées les encyclopédies d'antan et les bibles du savoir, les éditeurs optent désormais pour des sujets très anglés, plus susceptibles de capter l'attention du lecteur. Belin a ainsi publié en octobre un ouvrage intitulé Tolkien et les sciences, qui évoque, avec une rigueur toute scientifique, la vulcanologie, la linguistique ou la géologie, et de quelle façon Tolkien a utilisé ces données pour créer son univers. Un tel livre peut séduire le public fan de science mais aussi les fans de Tolkien.
Ensuite, les éditeurs mènent un important travail pour trouver des auteurs capables de vulgariser leurs propos et de parler à des lecteurs qui n'ont pas forcément leur bac S en poche. Dunod a publié début novembre Nature secrète : merveilles insolites du vivant du youtubeur Patrick Baud, connu pour sa chaîne Axolot ainsi que deux ouvrages de Florence Porcel, dont le compte Youtube affiche plus de 90 000 abonnés. « Ces auteurs réussissent à parler de science avec un ton plus léger, plus décalé, qui effraie moins les lecteurs novices. Sans compter qu'ils drainent leur communauté. Nous sommes à l'affût de ces nouveaux talents pour renouveler et diversifier la production avec des livres plus abordables », explique Anne Pompon. Chez Flammarion, dans le même esprit, on a fait appel à David Louapre, un chercheur en physique connu pour sa chaîne Youtube Science étonnante, qui a ainsi publié en 2016 Qui a attrapé le bison de Higgs ?, où il répond à des questions posées par sa fille. Prix du livre de science en 2017, il vient d'être réédité. Parmi les chercheurs, la nouvelle génération est aussi souvent plus « avide de transmettre et de partager son savoir », estime Blandine Genthon de CNRS éditions.
Autre moyen pour rendre le discours scientifique plus attrayant, la personnalisation. « Pour intéresser le lecteur, nous mettons de plus en plus en scène les auteurs, confirme Anne Pompon. C'est le cas notamment, de l'un de nos derniers ouvrages Les vagues de l'espace-temps , l'auteur , l'astrophysicien Matteo Barsuglia, raconte de l'intérieur, avec passion, la découverte des ondes gravitationnelles, à laquelle il a participé au premier plan. » Dans le même esprit, chez CNRS éditions, Blandine Genthon a lancé la collection « Les grandes voix de la recherche » qui donne la parole aux médailles d'or du CNRS, comme le climatologue Jean Jouzel ou la biologiste Nicole Le Douarin. « Chacun de ces scientifiques de renom raconte les grandes étapes de leur parcours scientifique. Cette dimension biographique est vraiment un moyen formidable de transmettre l'enthousiasme des chercheurs aux lecteurs. Pour rendre cela plus vivant, le texte assez court, une centaine de pages, a été écrit d'après une conversation enregistrée à l'oral. » De son côté, Humensciences organise de nombreuses rencontres pour que les auteurs aillent à la rencontre de leur public et que ce dernier puisse poser directement les questions qui les intéressent. Plus d'une soixantaine de rencontres ont eu lieu depuis le début de l'année un peu partout en France.
Moins austère
Mais pour rendre la science « sexy », les éditeurs travaillent aussi énormément sur la forme et utilisent beaucoup l'image pour attirer les lecteurs. Les ouvrages illustrés sont ainsi devenus légion. Chez Dunod par exemple, la collection « A la plage » - qui compte Einstein à la plage, la relativité dans un transat ou Darwin, l'évolution dans un transat parmi ses titres phare - a une maquette très graphique, avec une belle illustration colorée en couverture. Le tout jeune label HumenSciences a aussi fait le pari d'un design moderne, très coloré, tandis que CNRS éditions a opté pour des illustrations élégantes pour sa collection « A l'œil nu » lancée cette année et qui associe à chaque titre un auteur et un illustrateur. A chaque fois, l'objectif est le même : rendre les sciences moins austères. Chez Belin, un gros travail sur le fonds est également en cours, avec un relookage de certaines collections historiques, comme « Fous de nature ». Le guide des poissons de France, qui va être réédité début 2020, aura une couverture beaucoup plus flashy et moderne que la précédente.
Enfin, pour donner au public le goût des sciences, les éditeurs disposent d'un outil de choix : le groupe Sciences pour tous, du Syndicat national de l'édition, qui regroupe éditeurs de vulgarisation scientifique. Créé en 2014, ce groupe, présidé pendant des années par Sophie Bancquart, ancienne directrice du Pommier, multiplie les actions sur le terrain pour dépoussiérer l'image du livre de science. Un label Sciences pour tous a été créé, afin de permettre aux libraires et aux bibliothécaires, de repérer les ouvrages accessibles et un catalogue de plus de 2 000 ouvrages, mis à jour chaque mois avec une sélection des derniers livres labellisés parus, est disponible sur leur site. « Les professionnels du livre viennent rarement du monde scientifique et n'y connaissent pas grand-chose, observe Sophie Bancquart, qui vient de laisser la présidence du groupe à Christian Counillon de Flammarion (voir encadré p. 76), nous faisons donc en sorte de les épauler, de les former ». Un stand collectif est organisé chaque année à Livre Paris ainsi que des rencontres avec des auteurs. « Nous publions aussi chaque année un livre à l'occasion de la Fête de la science. Cette année il s'agit d'un ouvrage de BD baptisée Sciences en bulles - et nous avons créé le prix Sciences pour tous, un prix du livre scientifique remis par des lycéens et des collégiens », détaille Christian Counillon.
Ce travail de fond semble porter ses fruits. A la librairie Le Divan, à Paris, partenaire de Sciences pour tous à Livre Paris, qui organise aussi régulièrement des soirées-conférences avec des auteurs scientifiques, Chloé Abellan constate depuis quelques années un regain d'intérêt pour les ouvrages scientifiques. « Il y a une dynamique éditoriale importante ces dernières années, un vrai effort des éditeurs pour faire des ouvrages accessibles et moins austères. On se rend compte qu'il y a un public captif, curieux, qui est très en demande de ce genre de livres. ». Mais la libraire admet que : « Les rayons sciences des librairies sont souvent très petits, intégrés au rayon sciences humaines, il n'y a pas forcément d'espace dédié et visible. Il y a sans doute tout un travail à faire de notre côté sur ce plan-là. »
Quand la BD fait aimer la science
Le 9e art est une forme particulièrement adaptée à la vulgarisation scientifique comme le montre l'engouement des lecteurs et des éditeurs.
Le 30 octobre, les inconditionnels de Marion Montaigne et de son héros le professeur Moustache se sont rués en librairie pour se procurer le cinquième tome de Tu mourras moins bête, sa bande dessinée devenue un best-seller depuis la parution du premier album, tiré de son blog, en 2011. Pour l'occasion, Delcourt a prévu un tirage de 50 000 exemplaires. Pas mal pour un livre qui ambitionne de nous expliquer que les fourmis ne sont pas aussi travailleuses qu'on le pense et quelle surface de poils un chat doit entretenir quotidiennement ! Si Marion Montaigne cartonne avec ses albums qui mêlent humour et science, profitant aussi du succès de la série animée qui s'en est inspirée et a été diffusée sur Arte, elle n'est que la partie la plus visible de l'iceberg.
Thématiques pointues
La BD de vulgarisation scientifique séduit de plus en plus les éditeurs qui en publient toujours plus, et les lecteurs, qui répondent présent. « La BD en général marche très bien en ce moment et les BD de sciences en profitent, note Chloé Abellan, à la librairie Le Divan, à Paris. C'est un média qui permet vraiment à un public non scientifique d'aborder des thématiques pointues. Nous avons par exemple très bien vendu L'incroyable histoire de la médecine, paru aux Arènes (vendu à 38 000 exemplaires). » Les éditeurs sont donc nombreux à miser sur la BD scientifique. Delcourt a lancé une collection « Octopus » il y a trois ans, entièrement dédiée à la vulgarisation scientifique. « L'idée est vraiment de dépoussiérer les matières rébarbatives, c'est beaucoup plus simple de lire une BD qu'un essai de 500 pages. Et le dessin permet souvent de faire comprendre plus facilement un concept abstrait », explique l'éditrice Alix de Rosenval. Pour autant, insiste-t-elle, « ce n'est pas de la science bas de gamme, c'est tout aussi exigeant mais plus accessible ». La collection a ainsi accueilli Intelligences artificielles, miroirs de nos vies, vendu à plus de 3 000 exemplaires, ou encore La fabrique des corps, en 2017.
Aventure
Les éditeurs non spécialisés en bande dessinée tentent aussi l'aventure. Dans son ambition de développer des ouvrages scientifiques accessibles, Dunod a publié trois albums et compte bien continuer. « Ça fonctionne très bien, c'est vraiment un langage très adapté à la vulgarisation de notions jugées complexes et cela permet de toucher un public plus jeune comme en atteste par exemple le succès de la BD de Laurent Schafer, Quantix. », note Anne Pompon, la directrice éditoriale. La première BD made in Dunod, Neurocomix : voyage fantastique dans le cerveau a reçu le prix Sciences pour tous en 2016, tandis que la petite dernière, Quantix, a réussi à générer plus de 10 000 ventes. CNRS éditions publie de même, mi-novembre, sa première BD scientifique, L'entropie fatale, tandis que Larousse s'y met avec La biologie en BD, paru en septembre, ainsi que Sciences pour tous : le livre édité cette année à l'occasion de la Fête de la science est aussi une BD ! Sciences en bulles a été tiré à 80 000 exemplaires et a été distribué dans 350 librairies partenaires.
Stock a choisi pour la première BD de son catalogue en octobre, un sujet scientifique avec Tu l'as dit Jamy ! de Jamy Gourmaud qui fut le présentateur de « C'est pas sorcier » et Leslie Plée. Buchet-Chastel enrichit son fonds historique consacré à l'écologie d'une collection de BD « Planète graphique », inaugurée en octobre par L'âge bleu d'Anne Defréville et Les indégivrables de Xavier Gorce. Les bulles ont la cote et cela ne devrait pas s'arrêter de sitôt.