Entretien

Dominique Bona : « Mon père m’a transmis sa foi dans le merveilleux »

La romancière et Académicienne Dominique Bona - Photo ©Francesca Mantovani – Editions Gallimard

Dominique Bona : « Mon père m’a transmis sa foi dans le merveilleux »

À travers Le roi Arthur, à paraître le 2 octobre dans la « Blanche » de Gallimard, l'Académicienne Dominique Bona livre le portrait nostalgique de son père, Arthur Conte, journaliste, écrivain, historien, et homme politique. Rencontre avec la romancière qui évoque ce père qui l’a « éveillée à l’imaginaire », ainsi que la genèse de ce nouveau récit.

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Par Propos recueillis par Jean-Claude Perrier
Créé le 29.09.2025 à 12h33

Née à Perpignan en 1953, Dominique Bona est la fille d’Arthur Conte (1920-2013) et de Colette Lacassagne, deux Catalans. Elle est la sœur de Pierre Conte, né en 1960, homme de presse, qui fut directeur général d’Editis. « Montée » à Paris dès l’âge de six ans, c’est un brillant sujet, qui fut d’abord professeur agrégée de lettres, puis journaliste (Le Quotidien de Paris, Le Figaro littéraire, Version Femina), et surtout écrivain. Auteur d’une vingtaine de livres depuis son premier roman, Les heures volées (Mercure de France, 1981), elle a reçu de nombreux prix littéraires (notamment l’Interallié en 1992 et le Renaudot en 1998). Membre du jury du prix Renaudot, elle a été élue à l’Académie française en 2013.

Depuis Mes vies secrètes (Gallimard, 2019), cette femme discrète, élégante, qui s’est longtemps dissimulée derrière ses personnages, s’est aventurée dans l’autobiographie. Elle consacre aujourd’hui un récit à son père, Le roi Arthur (Gallimard, à paraître le 2 octobre 2025), ce qui est aussi une façon de parler de ses racines, des siens, d’elle-même.

Livres Hebdo : Pourquoi ce livre sur celui que vous appelez presque toujours « Arthur Conte », et pourquoi maintenant ?

Dominique Bona : Il m’a fallu laisser passer du temps, depuis sa mort. De son vivant, écrire sur lui aurait été hors de question ! Après, je n’avais pas assez de distance. Il m’a fallu du temps pour installer la distance nécessaire au récit, une démarche vers la biographie.

Écrire sur votre père, et aussi sur votre famille, c’est écrire sur vous ?

Bien sûr. Ce livre est en quelque sorte le deuxième tome de mes « mémoires secrets » ! Je ne dis pas tout, mais j’y dis beaucoup. Ce livre, c’est remonter la piste de l’enfance, avec la voix de mon père, qui m’a éveillée à l’imaginaire, m’a transmis, lui, ce passionné d’histoire et des romans de chevalerie, sa foi dans le merveilleux. Brocéliande n’est jamais loin de moi. J’ai été nourrie aux fées, aux sorcières. Un imaginaire d’abord raconté à l’oral, comme jadis, dans les veillées, puis passé à l’écrit. Mon goût d’écrire remonte à l’enfance.

« Je le voyais comme l’enchanteur Merlin dans son repaire »

Votre père était un conteur ?

Né ! Il avait un don naturel, hérité de son enfance catalane villageoise où les contes ont une immense importance. Né en 1920, il a eu une enfance presque comme au Moyen-Âge. Pour sa rentrée en 6e, son père, vigneron, l’a conduit à l’école en charrette à cheval !

Et vous ?

La famille est venue s’installer à Paris quand j’avais six ans. À Salses, notre village, on m’appelait « la Parisienne ». Mais à Paris, j’avais gardé mon accent catalan, dont tout le monde s’est moqué dès mon premier jour de classe. J’ai décidé illico de le ravaler, tout en restant fidèle à ma région. Dans la famille, tout le monde a l’accent, sauf mon frère Pierre, qui est né à Paris. Mon père en avait fait sa marque de fabrique, sa fierté.

Il a été maire, député, journaliste, patron (éphémère) de l’ORTF, écrivain à succès. Était-ce un père très présent ?

Extraordinairement présent en intensité. Il était très attentif à ses enfants. Il nous emmenait promener, nous expliquait tout un tas de choses. Quand il était à la maison, enfermé dans son bureau où nul n’avait le droit de pénétrer, je le voyais comme l’enchanteur Merlin dans son repaire. Ses deux grandes passions et ses deux métiers, c’étaient la politique et l’écriture, qui m’a tout de suite attirée, captivée. Mais de la première, il protégeait sa famille. Il n’en parlait jamais devant nous.

La politique, ça ne vous a jamais tentée ?

Je la regarde comme quelque chose d’assez dangereux. Ces combats, ces joutes sont causes d’anxiété, contrairement à la littérature, qui a besoin de silence et de paix.

Il y a un épisode tout sauf calme, dans le parcours d’Arthur Conte, c’est son mandat de P-DG de l’ORTF, express : seize mois, du 12 juillet 1972, sa nomination par Georges Pompidou, au 12 octobre 1973, date de sa démission.

En effet, ce fut une aventure fracassée. Mon père était Bélier ascendant Bélier, ce n’était pas un grand diplomate, ni un courtisan. À l’époque, l’ORTF, c’était la télé d’État, et mon père était trop indépendant pour supporter une pression politique. En conflit avec son ministre de tutelle, il a préféré partir.

« Un livre de gratitude »

Ensuite, c’est étonnant, de 1972 à sa mort, plus de 40 ans après, il n’a plus exercé aucune fonction, seulement écrire.

Cela demeure en effet un grand mystère. Un ressort devait s’être brisé en lui. Et l’écriture le rendait heureux. Il a accéléré sa production, un livre par an, d’histoire ou d’actualité, avec nombre de succès.

Et il s’est même présenté à l’Académie française…

Oui, deux fois, en 1986 et 1997, en vain. Ça l’a un peu vexé. Il m’avait dit : « Au moins, c’est clair, ils ne veulent pas de moi ».

Vous y pensiez, lorsque vous-même avez été élue, en 2013 ?

Bien sûr, d’autant que j’en étais à ma troisième tentative ! Mais Victor Hugo n’a été élu qu’à la cinquième… C’était pour moi un défi personnel. Ça m’a fait plaisir pour mon père, qui a vu mon élection en avril 2013, mais est mort avant ma réception, en 2014. D’une certaine manière, la boucle était bouclée, comme ce livre, qui se veut un livre de gratitude, et de transmission.

Continuerez-vous dans cette voie autobiographique ?

Je l’ignore. Après chaque livre, j’ai l’impression que je n’écrirai plus rien, puis les sujets viennent…

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