Qu'il s'agisse d'une meilleure gestion des tirages, des stocks de cartons ou des flottes de véhicules, la distribution subit de plein fouet l'impératif écologique. À l'heure de l'explosion du coût des matières premières et des transports, le secteur s'oriente vers des solutions d'exploitation des données de ventes et des transports moins polluants. La montée rapide des préoccupations liées au développement durable pousse les distributeurs à repenser leurs pratiques. « Nous sommes entrés dans une période où l'édition doit apprendre à mieux gérer des ressources comme le papier, le gaz ou le transport, qui sont de plus en plus limitées et de plus en plus chères », rappelle Michèle Benbunan, directrice générale d'Editis. Si les distributeurs mutualisent déjà une grande partie de leurs flux grâce à Prisme, la logistique continue de peser lourd dans le bilan carbone du livre. Transport et emballage, en particulier, contribuent largement aux émissions de la filière tout en générant énormément de déchets.
Selon une enquête de la commission environnement et fabrication du Syndicat national de l'édition (SNE), parue en 2021 et portant sur les années 2018, 2019 et 2020, les distributeurs ont en moyenne transporté 199 100 tonnes de livres par an vers l'ensemble des points de vente du marché français (librairies, grandes surfaces culturelles, hypermarchés...). Mais tous ces livres n'ont pas trouvé preneur : quelque 42 200 tonnes ont été en moyenne retournées tous les ans, soit 21,1 % de l'ensemble des livres initialement distribués. Parmi ces retours, et il s'agit toujours de moyennes, 26 300 tonnes ont été pilonnées chaque année, 10 800 tonnes réintégrées dans les stocks et 5 100 tonnes triées par les éditeurs. Au final, 13,2 % des livres distribués en France sont détruits chaque année.
En réponse à ce gâchis énorme, les solutions d'impression à la demande pour les livres indisponibles et les solutions de tirage court dynamique mises en place par les distributeurs pour les titres à faible diffusion (lire p. 40) constituent des alternatives pertinentes au stockage de très longue durée. Mais leur effet n'est que symbolique à l'échelle de la production globale. Pour le reste du marché - qui repose sur un principe d'offre, et peut donc facilement dériver vers la surproduction -, la distribution reste tributaire des stratégies de diffusion mises en place par les éditeurs. Le volontarisme reste de rigueur. Dans son rapport RSE publié en juin dernier, Hachette Livre indique par exemple que ses éditeurs « font leurs meilleurs efforts pour limiter la surfabrication ».
Éviter le tirage de trop
À l'échelle du réassort, des réflexions sont aussi engagées pour rationaliser les tirages en exploitant en direct des données de ventes. Les principaux groupes d'édition sont favorables à ce que l'interprofession s'empare du sujet de la remontée de l'information pour aider les éditeurs à « éviter le tirage de trop ». « Plus de la moitié des retours sont pilonnés. L'époque où cela n'embêtait personne est révolue », affirme Dominique Wettstein, directeur général de la distribution Madrigall. « Il y a des chiffres magiques dans l'édition. Mais imprimer à 10 000 exemplaires pour avoir un chiffre rond quand 9 800 suffisent n'a aucun sens », ajoute Michèle Benbunan. Pour ajuster ses tirages, Editis défend l'idée de s'appuyer sur les remontées caisse en temps réel, tel que cela se pratique déjà pour la presse. « Les maisons de presse et les kiosques parisiens scannent les produits, moyennant une remise. C'est incitatif, pas obligatoire, souligne Michèle Benbunan. Si vous savez en temps réel ce qui a été vendu, vous pouvez mieux ajuster votre tirage et anticiper des ruptures pour telle région ou tel point de vente. Aujourd'hui, l'information ne nous parvient qu'à la fin de la semaine et elle n'est pas consolidée. Un titre peut flamber dans une région et pas dans une autre et l'information arrive trop tard. »
Un tel dispositif n'existe pas aujourd'hui. Début 2019, le SNE a certes annoncé la préparation d'un outil de booktracking dont l'une des missions sera d'apporter plus de transparence sur les ventes, « au plus près des sorties de caisse ». Mais ce nouveau service tarde à se concrétiser et certains acteurs, tel Editis, envisagent de développer leur propre solution. Dans cette attente, le retraitement des ouvrages non pilonnés fait les beaux jours d'acteurs spécialisés dans le stockage du livre. La Société Genilloise d'Entrepôt a par exemple développé un service de rénovation des titres retournés par les libraires, permettant à 8 millions de livres restaurés d'être remis sur le marché.
Zone de faible émission
Enfin, du côté du transport, la prise en compte des enjeux environnementaux passe par la conversion d'une partie des flottes de véhicules thermiques en véhicules électriques ou roulant au biogaz. Une bascule d'autant plus nécessaire que les camions doivent montrer patte blanche pour circuler dans les zones à faible émission (ZFE) des villes françaises. Geodis a par exemple mis en place un programme visant à livrer 37 métropoles avec des moyens décarbonés d'ici 2024. Dès cette année, le transporteur dispose de près de 200 véhicules « propres » pour alimenter les centres-villes. « En fonction du tonnage, nos camions roulent à l'électricité ou au biogaz, détaille Stéphane Cassagne, directeur général du métier Distribution & Express chez Geodis. L'offre en motorisation électrique est assez importante pour les fourgons de moins de 3,5 tonnes. En revanche, les véhicules plus lourds fonctionnent au biogaz. »