29 août > Roman France

Parce qu’un roman d’Alain Julien Rudefoucauld, c’est d’abord un phrasé, le plus simple et le plus éloquent est encore de le citer. « Elle me conspue de sa parole, j’en prends de tous les côtés, que j’ai la tête escagassée, le foie en compote, les poumons foutus, que j’ferais mieux d’être suivi, heureusement qu’elle était là quand ça a viré capilotade (de quoi elle cause ?), déjà que j’allais mal, ben ça empire, je bats la campagne, ma culotte pue le chien côté santé mentale, tout ça d’une traite, à coups de massue, pire, du lapidaire, du caillou verbal, bien face à face, de profil aussi. » Voilà comment Monsieur Martin, narrateur d’Une si lente obscurité, rapporte une des premières discussions avec sa sœur aînée Rosy, « l’Harpiesœur » comme il l’appelle, lorsqu’il arrive chez leurs parents à Limoges où il n’a pas mis les pieds depuis plusieurs années. Les retrouvailles avec la frangine et la mère sont plutôt tendues. Mais difficile à ce moment-là de savoir ce qui relève de la simple mésentente exaspérée ou des premiers signes d’une légère altération du comportement. Le père, après un malaise, fait des allers-retours entre l’hôpital et la maison. Le fils, lui, s’installe à l’hôtel, fréquente les prostituées du coin, emprunte la 403 décapotable de « Papa ». Et, en sept chapitres, de « Encore un peu de jour » à « Nuit », s’enfonce dans l’obscurité.

Dans Le dernier contingent, prix France Culture-Télérama 2012, qui paraît simultanément en poche dans la collection « Souple », Alain Julien Rudefoucauld amplifiait sans souci naturaliste les voix de six adolescents embarqués dans une épopée tragique. Là, il s’installe dans la conscience dérivante d’un seul personnage, « Bibi », l’homme qui « marmonne ». Il en invente la langue faite de vociférations intérieures, d’auto-encouragements Alleï »), de commentaires non censurés. Le romancier, auteur de théâtre, la fabrique en greffant du trivial et du relevé, du désuet et du familier, du régional (le picard de Laon) et du vieille France, et les pensées du héros s’expriment dans leur propre syntaxe forte en goût. On progresse lentement dans ce livre qui évoque certains textes de Christian Prigent, car comme dans un esprit qui s’égare, il y a peu de silence et de respiration. «Je vais encore avoir partout des idées dans la tête », s’inquiète Monsieur Martin. V. R.

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