2 avril > Roman France

"Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement." A cette maxime de La Rochefoucauld, Camus répond dans L’envers et l’endroit par ce qu’il nomme "le grand courage", qui consiste justement à "tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort". Cet exercice est celui auquel est confronté le héros du troisième livre de Sébastien Amiel, dont le titre est emprunté à la réflexion de l’écrivain existentialiste. Un motard attend au bord de la route sous le cagnard, une voiture arrive, le motard enfile son casque, c’est la course, il gagne, empoche l’argent du conducteur vaincu qui repart, dépité. Abel n’enfourche pas tout de suite sa bécane, la fatigue s’abat sur lui, puis une douleur sur le côté, il crache du sang. La mort, point n’était besoin de la provoquer dans un duel motorisé, elle est en lui. On lui prédit trois mois à vivre. Compte à rebours rime avec retour. Retour vers le passé et ses spectres. Les lieux de l’enfance, Bélisarda, petite ville aux flancs de la montagne. Du jour au lendemain, Abel quitte tout - son emploi au garage où il débarqua des années auparavant sans un diplôme ni une explication pour se faire embaucher comme mécanicien, sa copine, la fille du garagiste qui lui accorda sa chance parce que, en dépit de ses "wagons de casseroles au cul", il lui trouvait "une bonne tête". L’ancienne maison où lui et son grand frère Witold avaient joué a été agrandie et modernisée par cet aîné qu’il revient voir. Refluent l’enfance, Jaroslaw, le père ouvrier du bois aujourd’hui grabataire à l’hospice, Gladys, la mère trop tôt emportée par la maladie… Abel entre chez Witold. Personne : son frère pas là, pas plus que sa femme et leur fils ; seul, le vieux chien l’accueille.

Sébastien Amiel, né en 1975 à Carcassonne et découvert à travers un recueil de nouvelles, Presque rouge (même éditeur, 2009), poursuit avec Le grand courage une œuvre subtile où le détail contient un monde et le paysage se déploie à l’aune d’une topographie intérieure ciselée. Abel, "l’enfant prodigue", retourne sur les lieux de sa faute : le cadet a trahi son aîné, trafiquant, qu’il a balancé à la police. Ambiguïté de l’amour fraternel mêlé de sourde appréhension, liens de filiation entachée de bâtardise, la vérité est trouble. Legrand courage est un roman dont la linéarité n’est qu’apparente. L’auteur perturbe jusqu’au temps du récit en narrant l’événement passé au présent et l’actualité des faits au passé. C’est que la brûlure d’antan est toujours vive et qu’aujourd’hui est déjà mort. Sean J. Rose

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