Au Canada, on les appelle des femmes autochtones. Autrement dit, des Indiennes. Depuis trente ans, 1 181 d’entre elles ont disparu ou ont été assassinées le plus souvent dans l’indifférence des médias et du gouvernement. Pas de celle d’Emmanuelle Walter. Cette journaliste française - elle a travaillé pour "Arrêt sur images" - vit depuis 2010 à Montréal. Elle s’est penchée sur ces "trous noirs" du Canada, ces quartiers pauvres et violents, ces motels déglingués, ces autoroutes désertes comme la 16 surnommée "l’autoroute des larmes" en raison du nombre de meurtres commis sur ces femmes qui faisaient de l’auto-stop.
Dans Sœurs volées, elle livre son "enquête sur un féminicide au Canada", sur ces "fétus de paille, brindilles, flocons de neige, éphémères, invisibles". Son reportage est écrit au cordeau. On y rencontre les parents des victimes, mais surtout la violence quotidienne, le racisme, l’exclusion, la prostitution. Pour les autorités, ces femmes avaient un comportement à risque. Comme celui de tomber sur le tueur en série Robert Pickton ?
Shannon, Maisy, Loretta, Amber et tant d’autres n’avaient rien demandé, et 80 % d’entre elles n’étaient pas impliquées dans la prostitution, ce qui de toute manière ne constitue pas une raison pour se retrouver poignardée, battue à mort, brûlée vive ou jetée dans un sac poubelle. Elles étaient simplement pauvres, déclassées, laissées pour compte.
Dans ce livre choc, Emmanuelle Walter donne une autre vision du Canada, loin de la carte postale d’un pays de cocagne. Depuis, les députés ont réclamé une enquête sur ce scandale. Féminicide, le mot est fort. Mais on n’en trouve pas d’autres. L. L.