Dans Des louves en 2007, une jeune femme avait le don de voir les corps sous les vêtements. Dans Corps (2010), une esthéticienne accédait à l’intimité de ses clientes. Dans Un homme aborde une femme, les femmes se dénudent spontanément devant la narratrice, une documentariste quinquagénaire, comme cette voisine danoise, "seule néo rurale" de son village natal, qui à 66 ans cueille les cerises de son jardin dans le plus simple appareil… Des figures féminines affranchies, de tous âges et de tous milieux, on en croise plusieurs dans le dernier roman de Fabienne Jacob, collaboratrice de Livres Hebdo: Mette, l’amie d’enfance à "l’effronterie invétérée", "Farida la tornade" qui passe la serpillière à grande eau, en dansant pieds nus, une "ex-nonne"…
Celle qui dit "je" vient d’être "plaquée" et cette rupture est le prétexte d’un retour sur ses relations avec les hommes, en particulier les inconnus, croisés au supermarché, dans la rue, frôlés et jamais revus. Du premier, qui a cherché à attirer son attention sur le chemin de l’école en jetant des cailloux sur son vélo, à la rencontre sans contact de quelques secondes sur un pont, elle se souvient de tous ces hommes qui forment "le vivier foisonnant et réjouissant de la rue, un terrain de jeu et de hasard insondable". De leur regard, leurs mots, leur voix, à l’occasion d’une promenade sur un front de mer sicilien ou quand, à 20 ans, elle traversait la ville pour rejoindre "le Professeur", un amant plus âgé qu’elle. Elle réentend ces mots crus et injurieux qu’on lui a parfois adressés, qui changent de statut selon qu’ils sont prononcés en plein jour, dans une rue étroite, ou bien la nuit au creux d’un lit par un homme désirant.
Observant combien "le monde se pasteurise. Un yaourt", la narratrice regrette que "les hommes de 2017" "ne lancent plus aucun abordage en direction des femmes". Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas un éloge du harcèlement, de la séduction agressive, mais de l’impulsion réciproque. "Je n’ai plus d’élan pour toi", s’est justifié le compagnon sur le départ. "De toutes les phrases que m’ont dites les hommes, c’est celle qui m’a le plus atteinte." L’élan, cet esperanto de l’attraction, dont l’héroïne de Fabienne Jacob défend ici librement la vitalité joyeuse. Véronique Rossignol