Le 24 octobre 1968, après deux tentatives infructueuses, et déjà âgé de 80 ans, Paul Morand fut élu à l'Académie française. Ce fut son dernier combat, remporté sans coup férir ni gloire. Et pour le reste, comme souvent en pareil tardif cas, mort où est ta victoire ? Rien de plus triste que la réalisation d'un désir surtout si l'on n'est plus très sûr de l'éprouver encore... Morand accède à l'immortalité alors que tout autour de lui se meurt, est mort, que dans la salle de bal, l'orchestre s'est absenté. Faute de mieux, l'Académie sera donc son pathétique dernier tour de piste puisqu'il fut moderne et n'est plus que vieux.
Cette cérémonie des adieux est le sujet d'Immortel, enfin, >le très intrigant et très réussi premier roman de Pauline Dreyfus. On y suit sur trois saisons, de sa candidature à sa réception en passant par l'élection, cet ultime baroud d'honneur. Morand y donne le meilleur de lui-même, c'est-à-dire son amour pour Hélène, sa femme, confite en vieillesse, en méchanceté, en chagrins trop longtemps refoulés. Le couple qui porte encore beau reçoit beaucoup. Des obligés, des courtisans, quelques anciennes conquêtes, mais tout cela (mai 1968, les hippies...) ne fait pas très Belle Epoque et les salons de Florence Gould ne sont pas ceux de Guermantes... Le maître de maison a gardé l'oeil vif et sait encore déceler un écrivain, comme ce Patrick Modiano qui publie La place de l'étoile ("on dirait une tour Eiffel qui aurait des cheveux longs et un regard intelligent"), ou apprécier une femme, comme cette jeune débutante du Conservatoire, nommée Nathalie Baye, qui vient chaque jour faire la lecture à Hélène. Banier, d'Ormesson, Matthieu Galey passent en douce, Cocteau et Proust ne sont jamais vraiment partis. L'habit vert et les souvenirs tiennent chaud à l'hiver d'une vie.