Conflit d'actionnaires

Denis Pryen : « Je refuse une vente de l'Harmattan »

Denis Pryen, aujourd'hui âgé de 85 ans, a fondé le groupe L'Harmattan en 1975 - Photo DR

Denis Pryen : « Je refuse une vente de l'Harmattan »

En conflit ouvert contre son neveu Xavier Pryen qui dirige depuis 2010 le groupe L'Harmattan qu'il a fondé en 1975, Denis Pryen, 85 ans, dénonce ses pratiques et l'accuse de déstabiliser le groupe par des décisions unilatérales et sa gestion.

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Par Éric Dupuy
Créé le 12.12.2024 à 10h58

Les 50 ans de l'Harmattan se dérouleront-ils en avril prochain dans un climat apaisé ? Après les révélations du journal Le Monde mi-novembre sur une querelle familiale et d'actionnaires autour du groupe fondé par Denis Pryen en 1975 et dirigé depuis 2010 par son neveu Xavier qui en détient la majorité des parts, rien ne va plus entre les deux parties.

La semaine dernière, Xavier Pryen a partagé auprès de Livres Hebdo sa vision stratégique du développement du groupe d'une quarantaine d'employés et de plusieurs centaines de directeurs de collection tandis qu'une action en justice a été lancée. Aujourd'hui, le fondateur lui répond, revient sur les origines du conflit, le rôle qu’il entend jouer en tant qu’actionnaire minoritaire, et son projet de redressement pour préserver l’héritage et la pérennité de L’Harmattan, en s'opposant à toute « vente » du groupe réalisant pour l'activité livre près de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. 

Livres Hebdo : Que reprochez-vous à Xavier Pryen ?

Denis Pryen : Nous lui reprochons avant tout d’avoir détourné l’entreprise de son objet et de sa mission. Il a pris le contrôle du groupe HDP (holding Denis Pryen) que je possédais à 100 % avec mon fils Guillaume (Pryen, ndlr) à son arrivée, sans aucun apport financier, au mépris des intérêts de l’entreprise et de ses salariés. Ses décisions, souvent unilatérales, ont conduit au démantèlement progressif du groupe, par exemple avec la vente du théâtre du Lucernaire (opérée en décembre 2023, ndlr) qui avait une synergie avec l’Harmattan. Il a instauré des méthodes de management en s’appuyant sur un coach « artisan de l’humain » que les salariés nomment « le gourou ».

Résultat : démissions précipitées, arrêts maladie longue durée et ainsi que le renvoi brutal de plusieurs directeurs de collection clés, comme Bruno Péquignot, Denis Rolland et Jean-Paul Chagnollaud, des piliers de l’Harmattan qui avaient aussi contribué à la relance du Lucernaire. Enfin, il méprise les instances de gouvernance et les collaborateurs, comme en témoigne son refus de rencontrer les directeurs de collection malgré leur demande collective signée nominativement par une centaine d’entre eux. Ce sont ces nombreux directeurs de collection indépendants qui font la richesse de l’Harmattan et que Xavier Pryen veut désormais encadrer par des référents pour soi-disant rendre l’Harmattan plus vendable. La déstructuration qu’il est ainsi en train d'opérer à un grave impact sur les résultats de l’Harmattan.

Xavier Pryen a affirmé à Livres Hebdo la nécessité pour le groupe de « s'adosser » à une autre structure. Qu'en pensez-vous ? 

L'Harmattan, sur ses 50 ans d'existence, a toujours progressé et s'est bien maintenu comme maison indépendante atypique. C'est une maison indépendante solide qui connaît une grave déstructuration liée à une gouvernance inadaptée qui ne peut plus durer. Cela doit cesser. Notre personnel est trop en insécurité. Je refuse une vente, par ailleurs impossible dans les conditions actuelles.   

Comment en est-on arrivé là selon vous ?

Cela résulte d’un processus de dépouillement, de démantèlement et de projet de vente à la découpe. De plus, en violation des dispositions statutaires, Xavier a pris toute une série de décisions sans consulter le comité stratégique dont nous sommes membres mon fils et moi parce qu’il savait qu’il aurait été en minorité. Sans nous consulter, il a annoncé quelques jours avant Noël 2023 à tout le personnel son souhait de départ du groupe en septembre 2024 et son projet de vente de l’Harmattan métiers du livre puis il a fait la même annonce en janvier 2024 à tous les directeurs de collection. D'après les règles de ce comité, chaque membre disposait d’une voix. Cela a provoqué une grande déstabilisation dans le personnel et une levée de boucliers des directeurs de collection qui s'interrogeaient sur leur avenir. Pour tenter de calmer les inquiétudes du personnel et des directeurs de collection, Xavier Pryen a ensuite changé de discours pour parler de s’adosser à un éditeur indépendant. Il employait les mêmes éléments de langage à propos du Lucernaire avant la vente pure et simple.

« L’Harmattan doit rester un espace de création intellectuelle et culturelle »

En tant qu’actionnaire minoritaire, quelles sont vos marges de manœuvre ?

Même en étant minoritaires, nous ne restons pas sans moyens d’action. Nous avons déposé une plainte pénale soigneusement documentée. D’autre part, les comptes 2022, 2023 et 2024 n’ont pas été arrêtés par le comité stratégique. Quant à la nomination d’un conciliateur par le tribunal, elle n’a absolument pas été demandée par Xavier Pryen mais décidée par le tribunal en raison de la situation de blocage. Xavier Pryen avait fait cet été la demande d’un mandataire ad hoc proposé par lui et son conseil, et le tribunal l’avait débouté. De très nombreux directeurs de collection et auteurs se sont mobilisés dans un collectif de défense présidé par Jacques Poulain et Patrick Karam. L’association qui a été créée vise à promouvoir une gouvernance éthique et transparente, garantir le respect des droits des directeurs de collection et des auteurs, d’œuvrer pour une gestion financière saine, en s'opposant à tout pillage des ressources de l’Harmattan et à la destruction de son capital financier, intellectuel et culturel.

Qu’imaginez-vous comme développement pour le groupe ?

À l'aube de ses 50 ans, L’Harmattan mérite un avenir qui soit à la hauteur de son histoire et de sa mission. Il faut d’abord restaurer une gouvernance équilibrée, avec des organes de contrôle qui garantissent la transparence et empêchent les dérives. Nous souhaitons aussi consolider les actifs du groupe et stopper toute vente à la découpe. L’Harmattan doit rester un espace de création intellectuelle et culturelle, et pour cela, il faut rétablir un environnement sain, où les directeurs de collection, les auteurs, et les salariés se sentent valorisés. L’Harmattan peut et doit retrouver sa place en tant qu’acteur incontournable du paysage éditorial. Avant l'arrivée de Xavier Pryen à la direction L’Harmattan avait un bénéfice net de plus de 1 million d'euros et c’est cette force qui m’avait permis notamment en 2004 de racheter le Lucernaire puis de réaliser dans le lieu un million d'euros de travaux. Le groupe était alors florissant et nul n'aurait jamais émis un projet de vente à la découpe. Je pense aussi aux salariés en particulier les plus anciens ballotés par les annonces changeantes de Xavier Pryen, ses méthodes de management et ses projets à marche forcée de restructuration qui leur causent une grande insécurité. Je souhaite pour tous ceux qui ont contribué à la vie de l’Harmattan, - directeurs, auteurs, salariés et amis -, que l’on retrouve calme et sérénité, pour maintenir l’ouverture culturelle que l’on a connue.

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