Entretien

Denis Podalydès est un garçon très actif - boulimique, touche-à-tout, multitâche… comme on voudra -, mais pour ce comédien et metteur en scène, depuis longtemps au four et au moulin, 2013 a été une année particulièrement dense : le 505e sociétaire de la Comédie-Française a eu 50 ans, est devenu père, a endossé, pour la première fois, LE rôle d’Hamlet transposé dans les seventies par le metteur en scène Dan Jemmet et terminé un quatrième livre, qui est aussi son premier roman. Une année charnière, donc. Toutefois, on n’avait pas attendu 2014 pour découvrir l’écrivain Podalydès, sa prose au tombé élégant, pudiquement passionnée, son goût de la belle langue. On l’avait déjà repéré dans les livres précédents, variations autour de l’autoportrait : en bête de plateau (Scènes de la vie d’acteur, Seuil-Archimbaud, 2006), en sensible écouteur de voix (Voix off sorti en 2008 dans la collection de Colette Fellous « Traits et portraits » au Mercure de France, récompensé du prix Femina essai), en fan de tauromachie (La peur matamore, Seuil-Archimbaud, 2010). Mais, avec ce premier roman, il a non seulement injecté dans son matériau autobiographique une dose supérieure de fiction, mais il est passé d’une composition à partir de fragments, de notes collectées au fil du temps, à un récit plus construit, plus voyageur, pour conter la collision de deux expériences inaugurales, deux déroutes : l’une amoureuse et l’autre cinématographique. Fuir Pénélope est une sorte de making of book, l’aventure tragicomique, de Versailles à Athènes, via l’Italie et l’Espagne, d’un premier tournage, des premières prises d’un apprenti comédien, des premières fuites d’un jeune homme encore en brouillon qui rêvait d’être un autre que lui. Projet qui, vingt-cinq ans plus loin, n’a pas quitté Denis Podalydès.

 

Livres Hebdo - En quoi ce premier roman est-il différent des autres livres ?
Denis Podalydès - Au départ, Fuir Pénélope était un peu comme une version étendue, appliquée au cinéma, de Scènes de la vie d’acteur qui était plutôt centré sur mon quotidien de comédien de théâtre. Mais en cours de route, j’ai pris la tangente. Dès l’écriture de Voix off, j’avais un embryon de livre, ayant commencé quelque chose autour de la scène d’abandon à Fesiole, en Toscane, où mon héros Gabriel se retrouve seul, à la fin d’une journée de tournage, toute l’équipe du film étant partie sans lui - un épisode que j’ai réellement vécu. Nous avons même eu avec mon frère Bruno un projet de scénario de long-métrage autour de cette mésaventure très perturbante qui était la première matrice du livre. J’ai écrit un premier jet puis j’ai laissé tomber. Je l’ai repris ensuite en repartant d’un autre abandon, une rupture amoureuse. J’avais en tête un roman d’initiation et, pour me donner un fil rouge, j’avais entrepris de transposer ligne à ligne La chartreuse de Parme, me disant que me mettre dans les pas de Stendhal allait avoir un effet d’entraînement. Le héros s’appelait Lucien Foirard : Lucien comme Lucien Leuwen. Et Foirard car ça donnait bien l’esprit du ratage. J’ai écrit deux pages avant de m’apercevoir que ça ne pouvait pas fonctionner. C’est finalement l’idée de démarrer par l’apprentissage laborieux de la conduite qui m’a permis de relier tous les thèmes.

L’histoire, écrite à la première personne, est inspirée de votre expérience personnelle d’acteur de cinéma débutant. Comment avez-vous dosé la part de fiction ?
Dans un premier temps, tout était à la troisième personne car j’avais la volonté de construire un discours objectif. J’ai ensuite essayé de mélanger les deux, le « il » et le « je », dans la mesure où ce personnage est très divisé, presque schizophrène. Puis je me suis rendu compte que je me sentais très loin de ce jeune homme. Qu’il m’échappait à plus d’un titre, et c’est à cause de cette distance que c’est devenu un roman. Il y avait des choses dont je ne savais pas si je les inventais en cours d’écriture ou si elles avaient réellement eu lieu. J’ai par exemple un souvenir très flou de ce film dont le roman raconte le tournage et qui était effectivement le premier de son réalisateur, un assistant du cinéaste grec Theo Angelopoulos. Je me rappelle être allé le présenter seul, l’unique fois où il a été projeté en France au festival de Belfort, il y a plus de vingt ans. Le chef opérateur en avait une copie VHS mais je ne sais même pas si elle existe encore… En écrivant, j’ai trouvé ce plaisir de réinventer et c’est en réinventant que des souvenirs perdus me sont revenus.

Aux enfants de l’art, qui fuient pour devenir grands

A la fin des années 1980, alors que son amoureuse Marianne lui a signifié la fin de leur histoire, Gabriel, 25 ans, « petit acteur sédentaire » formé au Conservatoire, jeune homme sans histoire encore douillettement hébergé chez ses parents à Versailles, est embauché dans un premier rôle au cinéma, sur le premier film d’un réalisateur grec inconnu qui a été l’assistant du cinéaste Theo Angelopoulos. Il doit jouer Mathieu, un acteur au chômage. Le tournage débute à Athènes. Toute l’équipe est grecque.

Chance inespérée d’entrer dans la cour des grands ou malentendu, erreur de casting ? Cette interrogation existentielle va hanter toute la traversée de ces quelques mois fondateurs. Car sur la scène intime comme devant l’œil de la caméra, notre héros, cinéphile biberonné aux chefs-d’œuvre Art et essai, est encombré de modèles, de comparaisons souvent à son désavantage. Il se voit gauche, apeuré, miné par un sentiment d’illégitimité mais appliqué et accommodant, il s’acharne à compenser son manque d’aptitudes naturelles (ou le peu de confiance qu’il a dans ses talents) par une inaltérable bonne volonté. Au cœur de tous ces laborieux apprentissages et de la mue qu’ils opèrent, les langues que Gabriel/Mathieu s’emploie consciencieusement à maîtriser : le grec déchiffré pas à pas avec la méthode Assimil, la grammaire et le vocabulaire nouveaux du cinéma… Jusqu’à sa langue maternelle, le français, dans laquelle le film est tourné, qui prend souvent des accents de langue étrangère à décoder lorsque dans des scènes particulièrement comiques, il sort, phonétique, de la bouche de « Thémis la Superbe », sa partenaire de jeu.

On retrouvera dans Fuir Pénélope, à travers des portraits plus doux qu’amers, des situations plus cocasses que tragiques, cette admiration fascinée qu’a toujours eue Denis Podalydès pour la machinerie de son métier et sa manière pleine de dérision de confronter la mythologie au prosaïque. Il signe ainsi un roman de formation, alerte et spirituel, hommage attendri à l’acteur débutant qu’il fut, et partant à tous les jeunes gens, encore enfants de l’art, qui fuient pour devenir grands. V. R.

Fuir Pénélope, Denis Podalydès, à paraître le 9 janvier, Mercure de France, 18,80 euros, ISBN : 978-2-7152-3041-5.


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