Avant-critique Essai

Denis Moreau, "Tous hérétiques ? Sur l'actualité de quelques débats chrétiens" (Seuil)

Bas-relief de la statue d'Étienne-Dolet, enlevée de la place Maubert (Paris) et fondue pendant l'Occupation. - Photo Paris Musées / Musée Carnavalet, Histoire de Paris - Gondry, J.

Denis Moreau, "Tous hérétiques ? Sur l'actualité de quelques débats chrétiens" (Seuil)

Philosophe spécialiste de Descartes et penseur catholique, Denis Moreau livre une fascinante analyse des idées considérées comme hérétiques par l'Église.

Parution 17 octobre

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 14.10.2025 à 14h00

Anathème moi non plus. Aujourd'hui on parle d'« orthodoxie » ou d'« hérésie » pour désigner la bonne ou la mauvaise application d'une ligne politique ou économique. On dit encore « jeter l'anathème » sur quelqu'un pour signifier qu'on le met au ban de l'opinion. Ces termes et locutions empruntés au lexique de l'Église relatif à sa doctrine foisonnent dans le langage courant et expriment par extension ce qu'il faut penser à propos de telle ou telle chose - la « vraie religion ». D'ailleurs, quand on n'a pas d'avis tranché, ne dit-on pas n'avoir pas de religion sur la question ? Denis Moreau, philosophe spécialiste de Descartes et de Malebranche, lui, a une religion : il est catholique, et ne s'en cache pas. Pis, la foi l'aide même à se poser nombre de problèmes existentiels. Dans Tous hérétiques ? Sur l'actualité de quelques débats chrétiens, il livre une fascinante analyse des idées considérées non conformes aux dogmes du catholicisme.

Ce nouvel essai n'est pas une histoire des idées jugées « pas bonnes » par l'Église, pas plus qu'il n'est une béate apologie de cette dernière en tant qu'institution, laquelle institution, rappelle l'auteur, massacra les Cathares, pratiqua très officiellement la torture par le truchement du tribunal de l'Inquisition, envoya au bûcher la poète mystique Marguerite Porete ou l'imprimeur humaniste Étienne Dolet... Non, l'auteur de Célébration du cogito (Seuil, 2023) entend ici saluer l'incroyable inventivité conceptuelle des hérétiques.

Credo quia absurdum, je crois parce que c'est absurde... La formule est attribuée à Tertullien, qui combattit Marcion, un hérésiarque du iie siècle hostile au judaïsme. Mais expliquer la foi par la raison, voilà qui est absurde, c'est mesurer l'air avec un double décimètre. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », dit Pascal, la foi et la raison sont deux ordres distincts. Certes, ce qu'affirme la religion chrétienne peut avoir des allures de couleuvres difficiles à avaler. Jésus est le fils de Dieu et le messie venu sauver le monde, tous les hommes sont nés dans le péché depuis Adam et Ève... Selon qu'on est adepte du pélagianisme ou du jansénisme, soit le péché originel n'existe pas, soit certains sont les élus et les autres n'auront qu'à se débrouiller avec leur « liberté ». Le novatianisme affirme qu'il n'est nul pardon, or le pardon est au cœur de l'enseignement du Christ. Pour le gnosticisme, il existe d'une part Dieu et d'autre part une kyrielle d'« êtres intermédiaires au statut mal définis », le monde est le théâtre où se combattent les forces du Bien et du Mal. Le christianisme orthodoxe rejette un tel manichéisme : il n'y a qu'un Dieu bon qui a créé l'univers et des hommes dotés de conscience libres de choisir entre le bien et le mal... Pour l'encratisme, le sexe est à bannir totalement mais aux yeux de l'Église l'amour charnel n'est pas en soi un acte répréhensible. Qu'il cite le coup de boule de Zidane ou qu'il nous recommande « quelques hérésies faciles et amusantes » à pratiquer en famille ou entre amis, Denis Moreau, s'il est bon catholique, peut paraître en philosophie un hérétique : il a beaucoup d'humour.

Denis Moreau
Tous hérétiques ? Sur l’actualité de quelques débats chrétiens
Seuil
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 23 € ; 336 p.
ISBN: 9782021550924

Les dernières
actualités