Les catalogues raisonnés font-ils la loi dans le marché de l’art ? Cette question n’est pas nouvelle, mais elle se pose avec une plus grande acuité depuis quelques années. En effet, outre que leur influence sur la valeur vénale des œuvres soumises au marché de l’art est indéniable, le cas des catalogues raisonnés est aussi étroitement lié à la question parfois délicate de l’authenticité des œuvres d’art. Car le catalogue raisonné d’un artiste est sans conteste l’ouvrage de référence pour l’ensemble des acteurs du marché de l’art (marchands, galeristes, collectionneurs, etc.), mais également pour les juges. Pour ces derniers, le catalogue raisonné constitue un véritable outil d’appréciation — quand il n’est pas l’objet du litige lui-même ! Selon la définition proposée par François Duret-Robert dans son incontournable Droit du Marché de l’art (Dalloz), les catalogues raisonnés sont «  des ouvrages qui répertorient, décrivent, situent dans le temps, classent et, si possible, reproduisent, toutes les œuvres connues des artistes en question  ». Fruits de travaux fastidieux de recherches et de classification, ces catalogues sont généralement l’œuvre de spécialistes, d’experts, d’historiens d’art. Ils font l’objet d’une attention toute particulière de la part des héritiers des artistes. Des affaires célèbres ont pu opposer les héritiers d’un artiste à l’auteur du catalogue raisonné consacré à leur aïeul. Ce fut notamment le cas du catalogue raisonné de l’œuvre d’Auguste Renoir. Ses auteurs sollicitèrent des héritiers du peintre l’autorisation de reproduire les œuvres dans leur ouvrage et se heurtèrent au refus catégorique du petit-fils d’Auguste Renoir, qui obtint gain de cause devant les tribunaux. La responsabilité des auteurs de catalogues raisonnés peut, en principe, être mise en cause. Toutefois, en pratique, rares sont les décisions qui condamnent les auteurs. Les parties au litige sont, selon les scénarios habituels, d’abord le propriétaire d’une œuvre qui met en cause la responsabilité de l’auteur du catalogue raisonné parce que celle-ci ne figure pas dans l’ouvrage. Este aussi parfois en justice l’acheteur ou le vendeur d’une œuvre mettant en cause la responsabilité de l’auteur du catalogue raisonné car cette œuvre figurait comme authentique dans l’ouvrage alors que, en réalité, elle n’est pas de l’artiste. Reste encore l’hypothèse où l’œuvre figure bien dans le catalogue raisonné, mais… dans la catégorie des oeuvres douteuses. Il faut toutefois noter que l’éditeur d’un catalogue raisonné n’est pas responsable de la décision de l’auteur de ne pas inclure une œuvre dans son ouvrage ou de l’inclure dans le chapitre des œuvres réputées douteuses ; et que cet auteur ne peut être condamné que s’il a commis une faute. La liberté d’expression demeurant un principe à valeur constitutionnelle, la jurisprudence retient en effet que l’auteur d’un catalogue raisonné a le droit de présenter l’œuvre comme il l’entend, sauf à répondre de ses fautes . Comme, par exemple, lorsque «  par dénaturation ou falsification, il présente comme véridiques des allégations manifestement erronées, retient avec inconséquence ou légèreté une thèse dépourvue de tout fondement, ou omet, par négligence grave, des opinions rencontrant l’adhésion de personnes assez qualifiées et éclairées pour que le souci d’une information impartiale lui interdise de les passer sous silence.  » Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence qu’un propriétaire mécontent de découvrir que l’œuvre qu’il détient est classée comme « douteuse » ou dans une catégorie « Œuvres non retenues » du catalogue raisonné de l’artiste, a peu de chance d’obtenir une quelconque réparation. En effet, les juges s’attachent à rechercher si l’auteur du catalogue à fait preuve de légèreté ou de malveillance. Si cela n’est pas démontré, la responsabilité civile de l’auteur ne peut être retenue. Il apparaît également, à l’exégèse de la jurisprudence, que l’annonce, avant la vente, qu’une peinture de Modigliani ne serait pas incluse dans le catalogue raisonné en préparation, n’a pas été considérée comme fautive. En revanche, il existe un véritable pouvoir du juge de contraindre l’auteur d’un catalogue raisonné à inclure contre son gré une œuvre dans son ouvrage dès lors qu’une expertise judiciaire attesterait de son authenticité. Pendant longtemps, seules quelques décisions isolées de juges du fond ont engagé la responsabilité civile d’auteurs de catalogues raisonnés et les ont contraints à suivre l’avis des experts commis. Mais, par un arrêt du 13 mars 2008, la première chambre civile de la Cour de cassation a fait prévaloir l’expertise judiciaire sur l’avis d’un expert spécialiste. Ce faisant, elle fait peser sur l’auteur de catalogue raisonné, de manière implicite, certes, une obligation d’être exhaustif. La Cour de cassation a retenu que «  ne porte pas atteinte au droit moral de l’auteur d’un catalogue raisonné l’injonction qui lui est faite par le tribunal d’insérer dans son ouvrage le tableau d’un peintre judiciairement reconnu comme vrai ; une telle mesure répondant à l’impératif d’objectivité poursuivi par un catalogue raisonné sans pour autant qu’elle implique l’adhésion de l’auteur dudit catalogue à cette mention.  » L’arrêt rendu le 1 er décembre 2011 par la première chambre civile de la Cour de cassation illustre parfaitement cette tendance jurisprudentielle. Le litige opposait des galeristes aux ayants droit du peintre Jean-Michel Atlan, décédé en 1960. Les premiers désiraient vendre treize tableaux de l’artiste et avaient sollicité de sa veuve l’authentification des œuvres. Celle-ci ayant refusé, une expertise judiciaire fut ordonnée. En définitive, les galeristes ont assigné la veuve ainsi que l’auteur du catalogue raisonné des œuvres de l’artiste, pour voir reconnaître l’authenticité des tableaux et pour voir ordonner leur insertion dans le catalogue raisonné. Ils réclamaient également le versement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice. Après avoir ordonné la réalisation d’une nouvelle expertise judiciaire, la cour d’appel a reconnu l’authenticité des treize œuvres litigieuses et a enjoint l’auteur du catalogue raisonné du peintre Atlan de les intégrer dans son ouvrage. C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a rappelé que «  devait répondre à un impératif d’objectivité l’établissement d’un catalogue raisonné présenté comme répertoriant l’œuvre complète d’un peintre  ». Elle confirme ainsi la décision de la cour d’appel qui «  a enjoint à l’auteur du catalogue raisonné d’insérer dans les nouvelles éditions de son ouvrage ou de tout supplément correctif ou mise à jour, la mention des tableaux litigieux en précisant que leur authenticité avait été judiciairement reconnue sur la foi de rapports d’expertise judiciaire établis, une telle mesure, qui répond à l’impératif d’objectivité requis, sans pour autant impliquer l’adhésion de l’auteur de l’ouvrage ou des héritiers du peintre, étant nécessaire et proportionnée au but légitimement poursuivi  ». Deux remarques s’imposent. En premier lieu, la Cour de cassation consacre la solution de 2008, précédemment évoquée, et confirme l’autorité des rapports d’expertise judiciaire. Est-ce à dire qu’elle pose en principe la primauté de l’authenticité reconnue judiciairement sur la foi d’une expertise judiciaire sur celle découlant du travail de l’expert spécialisé, auteur d’un catalogue raisonné ? Rien n’est moins sûr. En effet, et en second lieu, si les magistrats de la première chambre civile contraignent l’auteur d’un catalogue raisonné à inclure contre son gré une œuvre dans son ouvrage, ils inscrivent néanmoins cette mesure dans un cadre de nécessité et de proportionnalité au but légitime poursuivi. Le statut juridique des catalogues raisonnés est à l’image de celui des experts. Sans définition légale ou encadrement par le droit positif, la porte reste ouverte à des contentieux aux conséquences financières désormais à la hauteur des enjeux d’un marché de l’art qui semble souvent ignorer la crise.  
15.10 2013

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