3 JANVIER - ROMAN France

Frédéric Ciriez- Photo CATHERINE HÉLIE /GALLIMARD

Crépuscule sur Saint-Ouen. Près de la fourrière, une Xantia blanche est garée. Au volant, son conducteur, tête ployée sur les genoux, en position foetale. Le jeune homme s'est planté un couteau de cuisine dans le coeur. Seppuku pour Mishima de banlieue. Idéaliste comme le romancier japonais, il était engagé, mais de l'autre bord de l'échiquier politique, c'était un syndicaliste. Le téléphone du mort vibre et s'illumine : "kess tu fous travailleur viens briller avec moi C la fête de l'année". On est à la veille du 1er-Mai. Un peu partout il y a des bals. L'ami qui a envoyé le texto ne conduira pas ce soir son camion-poubelle. Il vêtira son "habit de lumière" afin de remporter le concours d'élégance des sapeurs, les membres de la Sape, Société des ambianceurs et des personnes élégantes. Parfait est éboueur le jour et prince la nuit. Le dandy congolais est chauffeur de benne à ordures, mais contrairement aux "ripeurs", lui ne ramasse pas les déchets. Il sillonne Paris, passe sur les grands boulevards, côté porte Saint-Denis. A deux pas des théâtres se déroule une autre sorte de dramaturgie. La rue avec son casting prolétaire et cosmopolite : bars PMU jouxtant kebabs turcs et épiciers arabes, vendeurs de roses pakistanais et putes chinoises à bas prix. Parfait achète un briquet gadget à une petite Asiatique qui trimballe sa camelote en rollers. Ce n'est pas avec l'Africain qu'elle fera des affaires. En revanche, en cette veille de fête du Travail, Barbara réussit à refourguer tout son glorifier, le présentoir de produits, à une passante, ancienne droguée, désireuse de faire un cadeau "original" à l'oncle qui lui a payé sa cure de désintoxication. Lequel n'est autre que le défenseur de la cause sociale au bord du suicide.

Avec Mélo, Frédéric Ciriez, auteur d'un premier roman très remarqué, Desnéons sous la mer (Verticales, 2008, Folio, 2010) - une histoire de sous-marin converti en lupanar -, signe un retour non moins flamboyant. Le romancier à la verve luxuriante et à l'imaginaire baroque a relié par des fils rouges multiples et ténus les volets d'un triptyque où se croisent les vies d'un syndicaliste dépressif, d'un Gatsby le Magnifique noir et d'une Franco-Chinoise, étudiante en école de commerce aguerrie à la technique de vente en direct. Trois destins, trois figures de la précarité. Précarité existentielle, tout d'abord. Frôlant la beauté d'un mannequin de l'agence juste au-dessous de ses bureaux, le syndicaliste entrevoit toute l'absurdité de sa mission. Troublante que cette scène où la belle inconnue lui caresse le visage dans la cage d'escalier : "Leurs yeux sont transparents, sans résistance. Puis il se sent oppressé, tente de se dégager. Elle retire brutalement sa main, le laisse en paix ; et cela finit parce que tout finit et elle reprend sa descente et lui sa montée. Elle vers sa liberté vaine, lui vers son devoir sans but."

La précarité est affective. Barbara a beau avoir épousé la flexibilité de l'économie de l'hypermarché, la commerciale en rollers gagne de l'argent en vendant ses babioles "made in China" à un rythme effréné, mais craint de perdre l'amour de Charlotte, qu'elle aime et qui l'a trompée. Si la précarité est certes sociale, elle peut être aussi une philosophie de vie assumée. Celle de l'esthète funambule dansant au-dessus du volcan : le sapeur prêt à claquer un mois de salaire pour un costume.

Les dernières
actualités