Ils ont déjà fait main basse sur les meilleures ventes. D’ici à quelques jours, les auteurs de la rentrée littéraire monopoliseront aussi les allées des librairies, sillonnant l’Hexagone à la rencontre de leurs lecteurs et des libraires pour défendre leurs ouvrages. Ainsi, mieux qu’une rock star, Véronique Ovaldé a calé une trentaine de séances de dédicaces pour promouvoir son nouveau roman, La grâce des brigands, tout comme Amélie Nothomb, qui défendra auprès d’un public souvent déjà conquis La nostalgie heureuse. Douglas Kennedy, qui sera en France cet automne à l’occasion de la parution de Cinq jours, les premières rencontres sont programmées depuis pratiquement un an.
Jusqu’à la fin novembre, les auteurs vont se bousculer en librairie, alimentant des programmes d’animation de plus en plus fournis. « Nous sommes confrontés chaque année à une demande croissante de la part des libraires », constate Jean-Marc Levent, directeur commercial de Grasset. Ce foisonnement n’a d’ailleurs pas échappé à Internet, où quelques sites se proposent de recenser l’ensemble des rencontres qui ont lieu en France. L’un d’entre eux, Lesdedicaces.com, a même lancé au printemps dernier une enquête inédite qui dresse un état des lieux des rencontres et signatures sur le territoire national (voir graphiques p. 14). Plus indicative que significative - elle est basée sur 173 répondants parmi lesquels 58 librairies, 19 maisons d’édition et 65 auteurs -, elle met en évidence le rôle incontournable de la librairie dans l’organisation de ces événements.
Un outil efficace.
Jouer la carte de l’animation permet aux libraires de se démarquer de la concurrence, des enseignes notamment et plus encore d’Amazon, qui ne peut offrir la possibilité de voir « en vrai » les auteurs. Cela représente en outre un excellent levier pour dynamiser le point de vente et renforcer sa position d’acteur culturel local. Lorsqu’elles sont relayées par la presse et soutenues par une bonne communication, les animations élargissent la clientèle, accroissent la fréquentation et fournissent, mieux qu’une remise, un outil efficace de fidélisation des lecteurs.
Au même titre que la sélection d’un assortiment ou que le conseil apporté aux clients, l’organisation d’événements fait désormais partie intégrante du métier de libraire. Et ce, même si sa rentabilité économique directe a tendance à s’affaiblir. Alors qu’il y a quelques années, Michèle Capdequi (La Préface, Colomiers) était assurée de voir les 70 exemplaires du livre à l’honneur s’écouler en une soirée, elle vend désormais entre 20 à 30 ouvrages, un chiffre confirmé par l’étude de Lesdedicaces.com. « Pour les rencontres en sciences humaines, les gens prennent même des notes », souligne la libraire, qui estime que les ventes s’étalent plus dans la durée. « Souvent, la quantité de livres vendus le jour même ne couvre pas l’ensemble des charges engagées pour une rencontre, et c’est tout juste si les ventes au global parviennent à équilibrer, note Quentin Schoëvaërt, codirigeant d’Atout-Livre (Paris, 12e). Mais en termes d’image, de dynamisme et d’identité, on est largement gagnants. »
Malgré tout, il reste la possibilité de réaliser de beaux scores. Avec des auteurs plébiscités par le public, tels Michel Onfray, Harlan Coben ou Fabrice Luchini, la librairie Mollat (Bordeaux) parvient à vendre jusqu’à 250 livres le jour même, alors qu’Yves Grannonio, de la Librairie du Château (Brie-Comte-Robert), est parvenu à placer plus de 500 exemplaires de La consolante d’Anna Gavalda et réalise fréquemment des performances étonnantes, de l’ordre de 400 livres achetés.
Conquis pour dix ans.
Si Yves Grannonio s’emploie à recevoir des « pointures », c’est que, outre le poids qu’elles pèsent dans son CA, ses propres prouesses commerciales ne laissent pas insensibles les éditeurs. « Les scores réalisés pendant les rencontres m’ont grandement aidé à passer en premier niveau », remarque-t-il. L’assurance de réaliser de bonnes ventes conjuguée à la motivation du libraire, à sa capacité à défendre l’auteur, à faire venir du monde et à déployer un accueil attentionné sont en effet des facteurs déterminants pour les éditeurs lorsqu’il s’agit d’envoyer un auteur en tournée. Ainsi, pour Laure Leroy, directrice des éditions Zulma, « le vrai coût caché, c’est le ratage de la rencontre. En revanche, quand c’est réussi, le libraire, son équipe, ses clients sont conquis pour au moins dix ans. C’est un investissement à long terme. »
Pour éviter la salle vide, les libraires préfèrent donc faire moins, mais mieux. Délaissant les dédicaces sèches, réservées aux salons et festivals, ils leur préfèrent une formule davantage participative, où l’auteur est convié à parler de son livre en compagnie d’un libraire ou d’un animateur extérieur, le débat étant ensuite ouvert au public. Plateau d’auteurs, lectures à voix haute, accompagnement musical ou performance artistique s’invitent aussi au programme, les libraires cherchant sans cesse à surprendre leur clientèle ou à décaler le cadre pour le rendre moins institutionnel.
Les petits-déjeuners ou apéritifs littéraires commencent également à se multiplier, au cours desquels les libraires présentent une sélection de nouveautés. A Sète, Sophie Dulin (L’Echappée belle) n’hésite pas à trouver des lieux insolites pour dépayser lecteurs et auteurs et désacraliser le moment de la rencontre. Elle a ainsi emmené Agnès Desarthe sur les canaux sétois à bord d’un bateau, et a investi à plusieurs reprises la plage, des étangs ou des anciens chais. Lors de chaque rentrée littéraire, la libraire organise aussi une soirée payante où les clients peuvent dîner en compagnie des auteurs invités. « Cela a un côté excitant, pour nous comme pour les lecteurs, et quitte à recevoir des auteurs, autant bien faire les choses », affirme Sophie Dulin.
Répondant mieux aux attentes du public, ce type de rencontres, contraignantes en termes de coût, de place et de préparation, accroît toutefois les inégalités entre librairies. Géographiques d’abord. Difficile par exemple de faire venir des auteurs à Annonay, en Ardèche. La ville est loin de tout et n’est desservie que par un service d’autocars. Une visite d’une journée est donc impossible, entraînant des frais supplémentaires de gîte et de couvert, que la librairie prend en charge. « C’est un motif de refus très souvent invoqué par les éditeurs », souligne Pascal Estragnat, qui dirige avec son épouse La Parenthèse et qui reconnaît ressentir une forme « d’injustice ».
Pourtant, la situation géographique n’est pas toujours un handicap. « A Sète, les auteurs ont très envie de venir et, surtout, nous bénéficions d’un public beaucoup plus captif parce que moins sollicité, contrairement au public parisien. Chaque animation fait événement », analyse Sophie Dulin, qui accueille en moyenne entre 50 et 100 personnes lors de ses rencontres.
Service de communication.
Autre inégalité notable, la taille de la librairie. Si Mollat, Sauramps et autres Dialogues disposent d’un service de communication assurant notamment la gestion des animations, dans les petites et moyennes structures, cette charge repose sur les épaules des libraires, s’ajoutant aux autres. « Nous manquons clairement de temps et de moyens pour assurer un service professionnel dans ce domaine », constate Michèle Capdequi, qui déplore le côté artisanal de sa communication. « L’animation nécessite des compétences que le libraire n’a pas forcément », ajoute Pascal Estragnat. Pour pallier cette lacune, il songe d’ailleurs à suivre la formation dispensée par l’INFL et réfléchit, avec ses confrères régionaux, à une forme de mutualisation. A l’image de ce qui se fait à Marseille (voir encadré p. 16), des initiatives locales se multiplient d’ailleurs pour accompagner les libraires dans cette voie.
Petit-déjeuner.
Dernière en date, l’agence régionale du livre en Rhône-Alpes (Arald) a choisi de réunir autour d’un petit-déjeuner bibliothécaires, libraires et 14 auteurs régionaux présents dans la rentrée littéraire, afin de donner un coup de projecteur sur leur production et de faciliter les contacts en vue d’éventuelles animations. Alors que « moins d’un client sur deux assiste aux événements organisés par sa librairie » et que l’évaluation qu’ils en font reste « moyenne », comme le révélait en juin dernier l’étude réalisée par l’Observatoire société et consommation (Obsoco) pour les Rencontres de Bordeaux, le terrain reste donc encore à exploiter. < C. Ch.
Dédicaces : des visiteurs et des ventes
La vraie vie de l’artiste en tournée
Les auteurs se prêtent assez volontiers au jeu des rencontres en librairie. En période de rentrée littéraire, si l’exercice peut devenir exaltant, il est aussi épuisant. Trois écrivains témoignent.
Sorj Chalandon : "Je n’arrive pas à dire non !"
Après la longue et « épuisante » promotion - de septembre 2011 à mai 2012 - de son roman Retour à Killybegs, Sorj Chalandon souhaitait ne pas trop tourner en librairie cet automne pour la parution du Quatrième mur. Résultat : pas moins de 30 rencontres sont programmées d’ici à la fin de l’année et l’auteur a déjà posé quinze jours de vacances auprès de son employeur, Le Canard enchaîné, pour pouvoir honorer ses engagements ! «Je n’arrive pas à dire non. Pour moi, c’est une obligation morale de répondre aux sollicitations des libraires qui m’ont défendu depuis mes débuts. C’est aussi très appréciable d’aller voir des gens qui me suivent, qui me posent des questions et m’obligent à réfléchir sur mon travail et ses évolutions. » Aussi à l’aise dans les petites librairies que dans les grandes, Sorj Chalandon reconnaît toutefois que ses souvenirs les meilleurs sont souvent dans les premières. Ainsi à Craponne (69), pour sa première invitation au Jardin des lettres, « la librairie était pleine à craquer et les discussions ont été très riches ». A l’inverse, l’auteur évoque une expérience moins réussie chez Decitre à Lyon : «Placé derrière une table à l’entrée du magasin, les clients me prenaient pour un vendeur et me demandaient de les orienter dans le magasin. Ce fut une leçon d’humilité ! » Gardant son enthousiasme intact, Sorj Chalandon se dit toujours « touché et intéressé » par les contacts avec le public.
Anna Gavalda : "Je gère mon agenda en direct et je privilégie la gentillesse"
Considérant qu’elle doit sa bonne fortune aux libraires qui ont défendu ses livres avant qu’elle ne soit connue, Anna Gavalda a « la reconnaissance du ventre » et n’hésite pas à se déplacer aux quatre coins de la France « en train, TER et parfois même en autocar ». « Je gère mon agenda en direct et je choisis où je veux aller en fonction souvent des courriers que m’envoient les libraires. Je privilégie toujours la gentillesse. Malheureusement, comme le temps n’est pas extensible, je suis obligée de refuser beaucoup de déplacements. » Se décrivant comme plutôt « sauvage », Anna Gavalda, qui ne cache pas « avoir le trac… craignant toujours qu’il n’y ait personne », a son planning complet jusqu’à Noël avec quasiment trois rencontres programmées par semaine.
Véronique Ovaldé : "Pas plus de deux rencontres… car c’est épuisant"
«C’est Pierre Hild [responsable commercial à L’Olivier] qui gère mon agenda et qui souvent m’accompagne dans les déplacements. Quand on va en province, il essaie souvent de grouper plusieurs rencontres. Mais je n’en fais pas plus de deux dans la même journée, car c’est épuisant. C’est un exercice qui demande beaucoup d’énergie. » Pour autant, explique-t-elle, ces rendez-vous avec son public sont comme « un baume ». «Alors qu’on est bousculé, et parfois malmené, par les turbulences de la rentrée, ces rencontres font beaucoup de bien. On est dans des relations de bienveillance et c’est très apaisant. » En outre, observe l’auteure, ces déplacements sont aussi l’occasion de découvrir des librairies et de nouer des contacts plus personnels avec les libraires, notamment en province où, parfois, ces derniers invitent l’auteur en déplacement à dormir chez eux. «Entre auteurs, on se communique les bonnes adresses ! C’est ainsi que Carole Martinez m’a conseillé la librairie Trait d’union à Noirmoutier. Du coup, j’y ai fait, il y a deux ans, la première dédicace de mon roman Des vies d’oiseaux… Et j’en garde un excellent souvenir. »
C. N.