Des mômes qui crient, hurlent leur désir de vengeance et finissent par castrer et énucléer un condamné. Nous ne sommes pas dans une vidéo de terroriste mais en France, au XVIe siècle, pendant les guerres de Religion. Avec cette approche anthropologique qui caractérise sa démarche, pour être au plus près des mentalités d'hier, Denis Crouzet (université Paris-4-Sorbonne) nous propose un « voyage dans une terrible petite enfance ».
Il s'agit d'un travail savant certes, mais accessible, d'abord par la langue et ensuite parce qu'il fait écho à des inquiétudes contemporaines. Ces petits garçons qui « tuent, torturent, agressent ou éviscèrent des cadavres, les brûlent ou les jettent à la rivière » nous renvoient à d'autres atrocités, celles commises par les enfants tueurs hutus, les lionceaux du califat en Syrie ou les gamins à kalachnikov endoctrinés par Daech.
Le point commun, c'est bien la volonté d'en finir avec l'hérétique - en l'occurrence ici le protestant - et de déverser sur lui toute la haine possible jusqu'à nier son humanité. Les enfants porteurs d'innocence deviennent « des agents du mal et du malheur ». Les adultes alimentent cette « pureté de la haine enfantine » contre les pêcheurs. Tout cela est une histoire de salut. « Tout se passe comme si les petits enfants des villes françaises des années 1560-1572 se donnaient la mission de combattre des hérétiques infiltrés désormais au milieu du peuple et de faire de l'espace vicié par leur haine du vrai Dieu l'instrument de leur châtiment. »
Pour Denis Crouzet ce « surgissement de haine sacrée » est un élément structurant des guerres de religion et non pas un épiphénomène. Elle explique pourquoi en 1562, à Toulon, le protestant François du Mas est traîné dans les rues puis lapidé et brûlé y compris par son propre fils sous la contrainte. Idem pour l'acharnement sur le cadavre de Coligny en août 1572. Les gosses tortionnaires ont allumé un feu sous son corps, l'ont tiré jusqu'à la Seine, puis l'ont amputé des mains et des pieds. En octobre 1572 à Provins, après la Saint-Barthélemy, un protestant du nom de Crespin, est condamné à la potence. Une centaine de gamins se réunissent sous le gibet, font tomber le cadavre et s'acharnent sur lui.
Dans ce travail exemplaire, Denis Crouzet montre comment « l'enfance écrit sur les corps hérétiques un imaginaire prophétique ». Il fait la grammaire et la syntaxe gestuelle d'une violence extrême, une violence divine dont les enfants sont le relais. « Il y a une obligation absolue de violence parce que Dieu veut la violence. C'est la mission des petits enfants, qu'ils assument rituellement, de rappeler cette obligation dans des saynètes dramatiquement sanglantes. » Après 1598 et la pacification du royaume les enfants bourreaux disparaissent... pour réapparaître en 1610 lors du supplice de Ravaillac. Certains d'entre eux auraient participé au démembrement du régicide et en auraient fait griller certains morceaux.
Les enfants bourreaux au temps des guerres de Religion
Albin Michel
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 22,90 euros ; 336 p.
ISBN: 9782226446251