[Spécial Ecologie]

De Soleil vert à Walden : bibliothèques et développement durable

De Soleil vert à Walden : bibliothèques et développement durable

Les bibliothèques sont-elles vertes et durables? Ou est-il déjà trop tard puisque "En vérité, le réchauffement climatique est déjà trop avancé pour espérer l’interrompre par un hypothétique développement durable" comme l'affirme Dennis Meadows.

On le sait, la notion de « développement durable » [1] a été introduite par le rapport Bruntland, rédigé en 1987 par une commission de l’Organisation des Nations Unies. Il s’agit d’un «  développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». On pourra déjà remarquer que dans cette (sage) proposition, la notion de « génération » doit être en priorité appliquée à l’espèce humaine.
 
Les bibliothèques ont tardé (comme d’autres) à s’emparer du terme, et encore plus à transformer l’énonciation en action. Il faut attendre 2008 pour qu’un premier article y soit consacré dans le Bulletin des bibliothèques de France [2]. Et ce n’est qu’en 2009 que l’IFLA [3] crée un groupe spécial en son sein, l’Environmental Sustainability and Librairies Special Interest Group (ENSULIB), qui a pour objectif de comprendre les conséquences des changements climatiques pour ensuite formuler des recommandations et des bonnes pratiques de respect de l’environnement qui s’adressent aux bibliothèques et à leurs services. Il faut dire que, pendant ces vingt années, la satisfaction outrée de leurs besoins par les générations du présent a largement obéré les capacités des générations futures à faire de même.
 
Comme pour sanctionner ces dérives, l’ONU a éprouvé le besoin, en 2015, de lister plus précisément 17 objectifs de développement durable [4], qui ont connu un certain succès, au moins médiatique, entraînant par exemple la mise en place d’un site internet incitant les bibliothèques et médiathèques à s'inscrire dans la réalisation de ces objectifs de développement durable [5].

Exemplarité et éducation
 
Les bibliothèques ont, en gros, deux façons de s’impliquer dans le développement durable : l’exemplarité et l’éducation. Pour ce second item, elles organisent des conférences, des animations, des expositions et, bien sûr, gèrent des collections sur ces questions, ainsi du portail de la Bibliothèque nationale de France[6] et de l’existence au sein de cette même bibliothèque d’un centre documentaire spécialisé. On ne compte, plus par ailleurs, en France comme à l’étranger, les jardins partagés et autres grainothèques installés dans ou à proximité des établissements.
 
Pour ce qui est de l’exemplarité, les bibliothécaires anglo-saxons ont inventé la notion de « green libraries » qui, traduite littéralement en français sous l’intitulé de « bibliothèque verte », ne manquera pas de faire sourire ceux pour qui ce terme évoque plus sûrement l’inoxydable collection créée en 1923 par les éditions Hachette et, pour le coup, éminemment durable. L’idée est de construire et de gérer des bâtiments dont la construction et la gestion minimise l’impact sur l’environnement.
 
La haute qualité environnementale, autrement dit la HQE (qui est une marque commerciale et non une norme), concept français inventé par l’Association française de normalisation (Afnor) en 2004, a servi à construire quelques bibliothèques. La complexité de gestion de ce genre de bâtiment comme l’absence d’évaluation a posteriori ne permettent pas forcément de conclure que les bibliothèques françaises sont « vertes », comme en témoignent a contrario de nombreuses (et magnifiques) bibliothèques à vocation régionale aux larges façades vitrées, ou la BNF déjà citée, aberration fonctionnelle absolue pour ce qui est de ces sujets.
 
Green washing

On peut lors douter de l’impact du développement durable sur le présent et le futur des générations qui fréquentent (ou pas) nos bibliothèques, surtout quand on apprend que Dennis Meadows, physicien américain réputé, déclare que « [le développement durable] est un fantasme utile aux industries et dirigeants du système actuel pour justifier leur existence… En vérité, le réchauffement climatique est déjà trop avancé pour espérer l’interrompre par un hypothétique développement durable » [7].
 
Dans une scène fameuse de Soleil vert [8], une dystopie jugée désormais crédible où l’humanité, accablée par le réchauffement climatique et la surpopulation, en est réduite (attention spoiler) à se manger elle-même, Edward G. Robinson, qui joue le rôle d’un lettré, est volontairement euthanasié en contemplant des images idylliques du « monde d’avant » au son du 1er mouvement de la Symphonie pastorale de Beethoven. Avec les progrès techniques, on pourra envisager de faire de même en écoutant, en audiolivres qui ont tant de succès aujourd’hui, le Walden de Thoreau, dont il existe au moins quatre versions en français.

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