26 août > Roman France

C’était au temps où la presse écrite, seule, informait l’opinion, où les quotidiens étaient nombreux à Paris et, imprimaient en un temps record des éditions spéciales diffusées instantanément dans les rues par des crieurs de journaux. Plus vite qu’Internet. Pour la presse, le 22 mai 1885 reste une date mémorable : celle de la mort de Victor Hugo, à 13 h 27, après une agonie de plusieurs jours vécue presque en direct par le peuple, les médias (comme on ne disait pas encore) et le pouvoir politique. Un écrivain certes républicain sous la présidence de Jules Grévy, mais qui, quinze ans après la Commune, redoutait plus que tout manifestations de colère, émeutes, une tentative de révolution de la part des "anarchistes".

On ne peut s’imaginer, aujourd’hui, l’ampleur de l’événement, ni le statut d’un Victor Hugo, icône de toute une nation, quasiment divinisé de son vivant. L’avenue chic où il vivait, après la maison de la place de Vosges, n’a-t-elle pas été baptisée "Victor Hugo" en 1881, pour son 79e anniversaire ? C’est là que "l’astre" s’est éteint. C’est de là que part, le 31 mai, à l’aube, le cortège qui conduit le corps (mal) embaumé dans son corbillard des pauvres - exigence d’Hugo, tout comme son refus d’un prêtre et d’une cérémonie religieuse - à la place de l’Etoile pour une longue veillée funèbre, avant les obsèques nationales et la panthéonisation. Un lundi, afin d’être sûr que les travailleurs, ce peuple de Paris qui vénérait Hugo parce qu’il l’avait anobli dans Les misérables, ne puissent pas y participer. D’ailleurs, les modalités des funérailles avaient fait l’objet de tractations, de polémiques, et il avait fallu que le gouvernement chasse l’Eglise de Sainte-Geneviève pour que le Panthéon soit rouvert, "laïcisé" et rendu à sa vocation première de mausolée national.

En journaliste qu’elle est, Judith Perrignon, puisant aux meilleures sources de l’époque, journaux et correspondances, reconstitue l’histoire de cette affaire considérable avec précision, comme si on y était. En romancière, elle a construit un récit polyphonique, donnant la parole à des témoins, presque secondaires, mais placés aux premières loges : le journaliste-député Lockroy, époux en deuxièmes noces d’Alice, la veuve du fils Hugo, Charles, le socialiste Lissagaray, journaliste également, ex-fiancé de la fille de Karl Marx, ou même Féger, le médiocre policier chargé d’espionner tout le monde et de veiller à ce que rien de fâcheux n’arrive. Mission accomplie : le cercueil a bien atteint la crypte du Panthéon. Il est même demeuré douze ans sur ses tréteaux avant qu’une tombe ne soit construite !

"Aimez-moi", a supplié Hugo sur son lit de mort. Assurément, c’est le cas de Judith Perrignon, avec ce roman aussi brillant qu’original et engagé. Jean-Claude Perrier

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