16 août > Roman France > Fanny Taillandier

Fanny Taillandier est attentive à l’énigme des ruines. Dans Les Etats et empires du lotissement Grand Siècle (Puf, 2016), le deuxième livre après Les confessions du monstre (Flammarion, 2013) de cette trentenaire agrégée de lettres, les rescapés d’une apocalypse observaient les vestiges d’un lotissement, décor symbole d’une utopie disparue. Des ruines d’après-guerre, de pierres et de béton, le remarquable Par les écrans du monde en fouille encore, de New York à Kandahar, du Caire à Mogadiscio. Dans un montage parallèle et dilatant le temps en flash-back, Fanny Taillandier imagine le déroulé simultané de la journée du 11 septembre 2001 vécue par plusieurs protagonistes, fictifs et réels, directement impliqués. Les deux personnages romanesques principaux sont une sœur et un frère, élevés dans la banlieue de Détroit par un père ouvrier qui leur a annoncé, aux premières heures de cette journée-là, sa mort prochaine. Lucy Bankowska Johnson est une mathématicienne prodige, toute jeune directrice du développement au bureau Risque de la compagnie multinationale d’assurance dont le siège est installé dans le World Trade Center, et William, son aîné, ancien "interprétateur d’images" de US Air Force au début des années 1990, est responsable de la sécurité de l’aéroport de Boston d’où embarquera Mohamed Atta, le coordinateur des attaques et pilote du Boeing d’United Airlines, premier à percuter la tour nord du WTC.

"Ce texte est une fiction et ne vise pas à l’exactitude historique", prend la précaution de préciser Fanny Taillandier à la fin, après avoir fourni des sources documentaires hétérogènes qui en disent long sur son projet littéraire ouvert à tous les codes, brouillant tous les genres. Fiction du réel flirtant avec l’essai pluridisciplinaire sans jamais perdre ni sa souplesse narrative ni sa profondeur de champs, Par les écrans du monde emprunte ainsi au roman catastrophe, comme on dit des films - Lucy coincée sous les décombres dans le centre commercial sous les tours effondrées avec le suspense afférent: survivra, survivra pas? Cela tient tout aussi bien de la série d’espionnage, avec la présentation des pièces du dossier réunies par "l’Agent spécial" du bureau commun de contre-terrorisme du FBI et de la CIA chargé d’établir le profil du kamikaze. Mais c’est aussi une méditation politique et métaphysique sur le hasard et les augures, l’espérance et la foi, le sens du devoir et l’obéissance. Sur la résonance des images et des récits d’"épopées-rhizomes". Sur la littérature qui permet d’approcher la nature équivoque des ruines "toujours réversibles, traduisibles autrement", et la complexité du réel, imprédictible. C’est labyrinthique. Et avec Fanny Taillandier en archéologue, c’est passionnant.

Véronique Rossignol

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