Avant-critique

Dans « La Nuit sur commande », Christine Angot au régime sec de l’écriture

Christine Angot - Photo Bouchra Jarrar

Dans « La Nuit sur commande », Christine Angot au régime sec de l’écriture

Pour la collection « Ma Nuit au musée » chez Stock, Christine Angot a passé une nuit à la Bourse de Commerce, à Paris. De cette expérience a découlé La Nuit sur commande, à paraître le 12 mars, réflexion sur son rapport à l'art et à l'écriture, et la nécessité de revenir sur les routes qu'elle avait, depuis ses débuts, empruntées. 

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Par Laëtitia Favro
Créé le 10.03.2025 à 18h51

Un écrivain, une nuit, un musée. Tels sont les ingrédients qui, depuis 2018, forgent le succès de la collection « Ma Nuit au musée », hébergée par les éditions Stock, créée et dirigée par Alina Gurdiel. Et si un écrivain passait une nuit dans un musée, quel texte naîtrait de cette expérience, fantasmée par beaucoup d'entre nous ?

Si l'idée directrice de la collection est simple, le résultat mis en mots est souvent surprenant, et d'autant plus quand l'auteur noctambule s'amuse avec la demande qui lui est faite, la contourne, la dévoie parfois. En acceptant la proposition des éditions Stock, Christine Angot pensait que ce projet serait « comme une petite bulle », « légère, facile ». Il est en réalité venu questionner sa relation à l'art et à l'écriture, et remettre en perspective « toutes les routes » qu'elle avait jusqu'alors empruntées. Des routes débouchant parfois sur des voies sans issue, obligeant l'écrivaine à revenir sur ses pas.

Le monde de l'art, Christine Angot lui est longtemps restée étrangère. À Châteauroux, où elle a grandi, on faisait défiler les élèves devant un portrait du général Bertrand, fondateur du musée municipal. Les œuvres de Camille Claudel que le musée hébergeait, l'écrivaine ne les a jamais vues. Puis, avec la publication de L'Inceste (Stock) en 1999, la voici propulsée sur le devant de la scène médiatique après n'avoir connu, avec ses précédents livres, qu'un succès d'estime.

La « favorite » de Sophie Calle

Au Café de Flore, la plasticienne Sophie Calle l'aborde, lui demande son numéro, en fait sa « favorite ». À travers elle, Christine Angot fréquente artistes et galeristes. « Elle habitait une grande maison avec un jardin en proche banlieue. Annette Messager et Christian Boltanski étaient ses voisins. Ses meilleurs amis étaient Jean-Michel Othoniel, Johan Creten et Bernard Frize. » Othoniel, dont l'écrivaine accompagne la publication des monographies en 2006 (Othoniel, Flammarion). Au moment de choisir un musée où passer la nuit, elle retient la Bourse de Commerce, à Paris, siège de la collection appartenant à l’homme d'affaires François Pinault.

Le désir d'en être ne remplace pour autant le sentiment d'illégitimité. Quand elle accepte la proposition de « Ma Nuit au musée », l'écrivaine demande à sa fille, Léonore, ancienne élève de l'École du Louvre et de la Villa Arson, de l'accompagner. Si sa mère est venue à l'art sur le tard, Léonore y est sensible depuis l'enfance. Pour un devoir de quatrième, elle présente l’œuvre Valstar Barbie, de l'artiste plasticien Claude Levêque, autour de laquelle se cristallise un dialogue mère-fille révélateur de nos postures et impostures vis-à-vis de la démarche artistique, des œuvres qui nous sont présentées et des lieux qui les hébergent.

Sentiment d'illégitimité et mise en retrait

En 2023, Claude Levêque a été mis en examen pour « viols et agressions sexuelles sur mineur de quinze ans ». Même si elle n'avait que quatorze ans au moment de choisir Valstar Barbie pour son devoir, Léonore a le sentiment d'avoir participé à la violence exercée par Claude Levêque sur ses victimes. « Comme si j’avais collaboré en fait. En trouvant ça marrant cette vision du monde, alors que c’était cette même vision du monde qui détruisait des personnes. » Elle-même abusée par son père dans son adolescence, Christine Angot perçoit un écho entre la commande éditoriale formulée par « Ma Nuit au musée » et « la commande sexuelle à laquelle [elle] pouvai[t] être confrontée à tout moment de la nuit entre [s]es treize ans et [s]es seize ans ».

Au sentiment d'illégitimité, au désir d'appartenir à un milieu qui, sous couvert de performance artistique, tolère une violence exercée sur des personnes, Christine Angot répond par la mise en retrait. Sans avoir à « amoindrir, excuser, comprendre, supporter. » Autant de verbes auxquels l'écrivaine s'est conformée pendant des années en tant que personnage public, mais également au sein d'une famille qui n'a pas voulu reconnaître les abus dont elle avait été victime. Autant de « routes » qu'elle accepte désormais de ne plus suivre, pour rester immobile devant sa page blanche.

« Depuis que j’écris, je ne fais rien d’autre, indique-t-elle dans les dernières pages de ce livre, dont la justesse, la rigueur et les réflexions qu'il suscite, impressionnent. Je dis non à tout. Comme si j’avais une sorte de régime sec. De je peux faire sans. De non merci. J’étais assise face à la vitre qui donnait sur la fresque, que je ne regardais même pas. J’étais incapable de bouger. Incapable de suivre Léonore dans les salles. Je le regrettais. Je m’accusais de ne pas vivre. Elle faisait le tour des espaces. Je ratais l’occasion de l’accompagner, d’être avec elle, et de voir les œuvres. J’étais là, devant ma machine, c’était tout. Exactement comme j’avais passé ma vie. »

La Nuit sur commande, Christine Angot, Stock, collection « Ma Nuit au musée », 180 pages, 19 euros (en librairie le 12 mars)

« Ma nuit au musée », une collection à succès

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