22 janvier > BD France

On connaît Martin Veyron comme étant l’auteur de la série Bernard Lermite, de L’amour-propre, Executive woman, Cru bourgeois, Blessure d’amour-propre et de nombreux autres titres croquant avec une ironie mordante les bourgeois parisiens plus ou moins branchés. Mais voici que cet observateur aiguisé des mœurs contemporaines tourne le dos aux lumières de la ville pour mettre les pieds dans la glèbe. Dans la Russie profonde de la fin du XIXe siècle, il met en scène des moujiks à peine sortis du Moyen Age et du servage, survivant péniblement sur une terre ingrate, en adaptant un conte signé en 1886 par Léon Tolstoï, disponible chez Flammarion en "GF" dans le recueil de nouvelles Maître et serviteur.

Ce qu’il faut de terre à l’homme se déploie dans un village iconique fait de chemins boueux et de minuscules isbas blotties autour d’une typique église orthodoxe à bulbes. Un couple de paysans y vit sans autre ambition que d’extraire sa nourriture de quelques arpents de terres où il cultive des céréales et élève quelques vaches, poules, cochons. Même le riche beau-frère et la sœur de la moujike ne parviennent pas à les convaincre de voir la vie en grand, de se muer en capitalistes ruraux à défaut de les suivre à la ville.

Pourtant la vie à la campagne n’est pas une sinécure. Pour joindre les deux bouts, les paysans doivent laisser divaguer leur bétail sur les terres de la barynia locale, lui chiper quelques pommes voire des stères de bois pour l’hiver, braconner sur ses terres. Or, moins compréhensif que sa mère, le fils de la barynia se met en tête de remettre de l’ordre. Il embauche un intendant dont le zèle conduit les paysans à la misère. Et si ceux-ci parviennent à en sortir un temps en rachetant collectivement les terres, ils vont rapidement se diviser sur l’usage à en faire.

Le récit prend la forme d’une fable sur l’avidité des hommes, qui fait voler en éclats la solidarité villageoise au profit d’une dynamique fatale d’enrichissement individuel. Pour le mener avec la cocasserie qui est sa marque de fabrique, Martin Veyron réinvente largement son style. Il introduit des petites séquences pleines de drôlerie et de poésie, faisant de l’affrontement de l’intendant et de deux moujiks sur un étang gelé, ou d’une expédition en traîneau dans une tempête de neige, de beaux morceaux de bravoure.

Fabrice Piault

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