D'abord la foule. Des jeunes et des moins jeunes qui courent, affolés. Qui s'écrasent les uns sur les autres, poursuivis qu'ils sont, jusque dans les maisons, par un escadron de la garde. Et puis des coups de feu, des cris, de la fumée, le bruit des meubles et des objets qu'on brise. Ce sont les premières pages de Liberté, le premier des trois volumes à paraître de Révolution, une fresque ample, spectaculaire et néanmoins documentée sur la Révolution française. Près de 1 000 pages sont à venir, portées par un trait et un style réalistes et enlevés, plein de fureur et d'émotion, de violence aussi, qui rappellent ceux de Paul Gillon, grande figure de la bande dessinée classique française.

Aux manettes, deux jeunes auteurs bretons. Né à Lorient en 1987, Florent Grouazel a étudié la bande dessinée à l'Institut Saint-Luc, à Bruxelles, avant de s'installer à Lille, d'où il participe à différents collectifs et dessine pour la presse. Né en 1984 à Rouen, puis fixé à Lorient, Younn Locard, également formé à l'Institut Saint-Luc, a notamment publié H27 (2009) et Dérive orientale (2012) à L'Employé du moi. Ils ont déjà signé ensemble une bande dessinée historique, Eloi (Actes Sud/L'An 2, 2012), l'histoire remarquée d'un jeune Kanak ramené de Nouvelle-Calédonie en 1842 sur une frégate française.

Du mouvement qui infuse en 1789 dans toute la société française, ils font émerger une théorie de personnages archétypiques sans être caricaturaux. Saisis à même le pavé, Marie est une gamine des rues, garçon manqué, borgne, qui survit de petits larcins et de la vente d'images licencieuses, et Jérôme Laigret anime la publication royaliste Le Lys ardent, qui craint que les excès du régime ne finissent par précipiter sa chute. Découverts dans une malle-poste en chemin pour la capitale, Abel de Kervélégan est un nobliau breton, dont le frère est député réformateur à l'assemblée, et Nathanael Pym un voyageur anglais.

Apparaissent aussi un prévenant fort des halles, des commerçants, des domestiques, des soldats et Paris, personnage à part entière de cette fresque où la petite histoire de chacun croise la grande, des émeutes provoquées par le renvoi par Louis XVI du populaire ministre Necker, durement réprimées par des régiments de soldats allemands et suisses, à la prise de la Bastille et au retour du roi de Versailles à Paris. Avec autant de soin que de vivacité, Florent Grouazel et Younn Locart donnent vie à chacun au fil de huit chapitres ponctués de très beaux tableaux, clins d'œil aux peintres de l'époque.