Toute petite déjà, à Pointe-à-Pitre, Maryse, pas encore devenue Condé, fuyait son père absent, sa mère sévère, et sa nombreuse fratrie, pour se réfugier auprès des servantes, en cuisine. Là, cette gourmande découvrait tout un monde pour lequel elle se passionnera.
La cuisine, pour Maryse Condé, est un espace de créativité : "en cuisine, dit-elle, toutes les audaces sont permises". Et de liberté, pour cette écorchée vive, cette femme de caractère : "Etre une excellente cuisinière contribuait à casser cette image d’intellectuelle, de militante et de féministe que l’on me colle trop aisément."
Cette complexité, cette diversité, cette richesse a irrigué toute l’œuvre de Maryse Condé, depuis son premier roman, paru en 1976 chez 10/18, jusqu’à son dernier, La vie sans fards (JC Lattès, 2012). La voici qui se remet à table aujourd’hui, et revisite son parcours gourmand, depuis sa Guadeloupe natale, jusqu’à la métropole où elle s’est fixée. Durant tous ses périples (Afrique, Antilles, Etats-Unis…), comme son difficile voyage de noces en Inde, ou ses idylliques séjours au Japon ou à Cuba, Maryse Condé a goûté, exploré, cuisiné, inventé, jamais si contente que quand une vaste tablée de convives se régale de ses créations. Dans l’Afrique traditionnelle, la femme est avant tout une mère nourricière, et Dieu sait si l’auteure de Ségou, son best-seller (Robert Laffont, 1984 et 1985), est attachée viscéralement à ses racines africaines et à cette négritude qui lui a causé pas mal de tourments : l’un des thèmes récurrents de ce livre est le racisme dont elle dit avoir été victime dans le regard des autres - en Inde, notamment, ou aux Etats-Unis. Mais aussi, plus curieusement, sa phobie de l’homosexualité. Son fils est gay, et elle a du mal à l’admettre. Elle l’avoue, un peu honteuse, comme, après un bon repas, on se livre à des confidences.
La cuisine, c’est le lieu de l’intime, où Maryse Condé, admirable conteuse, nous convie à sa table généreuse. J.-C. P.