Ville industrielle et ouvrière (31 % des habitants appartiennent à cette catégorie socioprofessionnelle), où 107 nationalités différentes se côtoient (21 % des 34 000 habitants sont d’origine étrangère), Creil s’est engagée depuis de nombreuses années dans une politique très volontariste en matière culturelle, et particulièrement en faveur du livre et de la lecture, domaines pour lesquels toutes les actions sont gérées par l’association La Ville aux livres. Ville en terre picarde mais située à soixante kilomètre seulement de l’imposante capitale, Creil a néanmoins réussi à se créer une personnalité culturelle bien à elle. Son mot d’ordre : favoriser le brassage, entre les disciplines artistiques, les publics, les acteurs culturels ; créer des passerelles. C’est ainsi que le livre et la lecture s’invitent partout : l’espace culturel La Faïencerie et le musée Gallé-Juillet accueillent des rencontres avec des poètes contemporains et des écrivains ; la salle de spectacle La Grange à musique, un atelier d’écriture autour du rap ; le conservatoire, une conférence. Autant d’occasions offertes à chacun de pénétrer dans des lieux où il ne serait pas allé spontanément et d’y côtoyer des personnes parfois bien éloignées de son propre univers. Exemple emblématique de cette démarche hissée au rang de philosophie : le Salon du livre et de la BD de Creil, qui tiendra sa 28e édition en novembre prochain, réalise la performance d’attirer chaque année près de 16 000 visiteurs. La ville l’a conçu comme un événement fédérateur, impliquant l’ensemble des acteurs locaux et s’adressant à tous les publics, amateurs de littérature ou personnes en délicatesse avec la lecture, toutes générations confondues grâce à la présence de la bande dessinée aux côtés du livre. Le salon propose de nombreuses activités, conférences, rencontres, ateliers, déclinés en fonction des différents publics. "Nous rendons les choses festives pour donner envie à chacun de pousser la porte, explique Gallia Basmaison, adjointe à la culture de la ville de Creil. Le salon n’attire pas seulement les amoureux du livre et les scolaires, mais aussi des mères de famille, des curieux." Autres rendez-vous plus récents mais aussi prisés, le Festival de poésie, dont la 3e édition se tiendra le 29 mars, et la convention Manga qui a lieu depuis sept ans au mois de mai.
Jacky Hamel, directeur des affaires culturelles de la ville de Creil, a, quant à lui, une vision quasi géopolitique de la culture et préfère parler de populations et de territoires à desservir plus encore que de publics et de lieux. Son ambition : amener la culture dans tous les espaces et quartiers de la ville. "Que les gens décident de ne pas venir dans les lieux culturels, c’est leur droit. Mais qu’ils n’y viennent pas faute d’être informés, ce n’est pas acceptable. Nous voulons que chaque habitant puisse devenir public, même si c’est ponctuel", affirme-t-il. Son service a donc entrepris ces dernières années un travail important pour renforcer et diversifier les actions de communication. "On ne communique pas de la même manière auprès des adultes ou des jeunes, ajoute le directeur des affaires culturelles. Nous maintenons les supports traditionnels mais nous avons également investi les réseaux sociaux."
La bibliothèque, un bouillon de culture.
Le réseau de lecture publique, constitué de trois médiathèques, est bien sûr l’une des chevilles ouvrières de la politique du livre et de la lecture. Véritable militante de la lecture publique, profondément convaincue que donner un large accès à la culture à tous les publics relève d’un engagement citoyen dont les bibliothèques doivent être porteuses, Sylviane Leonetti, directrice des médiathèques de Creil, a mis en place de longue date dans son réseau de nombreuses actions considérées à l’heure actuelle comme innovantes. La médiathèque propose ainsi depuis trente ans deux fois par semaine des séances "bébés lecteurs". Elle a également été pionnière en proposant des cafés-philo avec l’aide de celui qui inaugura ce concept en France, le philosophe Marc Sautet. Des rencontres qui ont su séduire le public et qui se déclinent désormais en "goûters-philo" destinés aux adolescents ou aux personnes handicapées. La médiathèque pratique aussi depuis bien longtemps une politique d’action hors les murs tous azimuts et de collaboration avec les partenaires locaux, en particulier ceux qui interviennent auprès de publics spécifiques (personnes en situation de handicap, accueil des populations immigrées, lutte contre l’illettrisme). "Dès qu’on repère un dispositif intéressant, notamment les grandes manifestations culturelles nationales telles que la Semaine de la langue française, on s’en saisit et on lui donne la teneur conforme à nos engagements", explique Sylviane Leonetti. Une personne de l’équipe est chargée spécialement d’organiser des grandes actions fédératrices telles que des résidences d’auteurs pendant la convention Manga et le Salon du livre et de la BD, des ateliers d’écriture avec tous types de publics - scolaires, participants individuels, résidents de la maison de retraite. Tous les ateliers donnent lieu à la publication de livres rassemblant les productions des participants, afin que chacun puisse garder une trace de sa contribution.Autre preuve de la vitalité du livre et de la lecture à Creil, la présence en centre-ville de deux librairies indépendantes, l’une généraliste, l’autre consacrée à la bande dessinée, et ce malgré l’installation dans la zone commerciale toute proche d’une Fnac et d’un magasin Cultura. "Dans les premiers temps, les librairies ont vu leur chiffre d’affaires baisser. Mais depuis deux ans, il est à nouveau en hausse car les gens ont pris conscience de la différence en termes de compétence des libraires, de conseil et de qualité d’accueil", analyse Jacky Hamel. Véronique Heurtematte