C'est parfois un sale coup que la gloire. Celle qui vous tombe dessus sans que vous l'ayez jamais recherchée, vous fait aimer pour de mauvaises raisons et lire de travers. Le "Moloch" littéraire a besoin de ses reines ou de ses wonder boys d'un jour et de ses engouements de saison. A la rentrée 2008, Tristan Garcia fut celui-là. Avec La meilleure part des hommes (Gallimard), il avait écrit à vingt-sept ans un beau premier roman générationnel, de facture assez classique, très anti-autofictionnel. On voulut y voir l'enterrement de première classe des années sida, un grand livre furieux et politique marqué par la figure d'ange exterminateur de Guillaume Dustan. Un prix de Flore et une méchante polémique avec Alain Finkielkraut (qui s'était reconnu derrière l'un des personnages du livre) plus tard, et le tour était joué ; ou plutôt, le malentendu consommé.

Pourtant, lorsqu'on le rencontre chez son éditeur pour évoquer la parution de son premier recueil de nouvelles, En l'absence de classement final, ce jeune homme un peu poupin, tout de douceur et d'attention, paraît très loin de l'enfant terrible tapageur. S'il concède volontiers à propos de son succès initial qu'"il est embêtant d'être célébré pour de mauvaises raisons et que, de toute manière, on n'écrit pas pour être à l'avant-scène", il révèle une vraie modestie ("je ne me perçois pas comme un écrivain, en revanche, j'aime beaucoup l'idée de "faire" des romans, dans son acception de fabrication") comme une authentique ambition : "Je suis hanté par l'idée d'oeuvre, explique-t-il. On me reproche d'écrire des livres trop différents. Si je perçois leur cohérence, je sais qu'il faudra cinq ou six livres pour que mes lecteurs la découvrent à leur tour".

S'il est entré un jour en littérature, c'est aussi dans un projet d'opposition : opposition au nouveau roman, à la nouvelle vague, à Tel Quel, aux avatars structuralistes, à une postmodernité à tête de colin froid... "Je voulais dire que l'on pouvait aimer autre chose sans être réactionnaire. Qu'il fallait sortir d'une conception trop linéaire de l'histoire de l'art, de cette vision hégélienne de l'Histoire. Je rejetais tous ces écrivains qui se concevaient - parfois avec un talent magnifique - comme les derniers de leur espèce, toute cette rhétorique de l'épuisement..." Ce qui le sauvera de ces remugles, c'est la littérature de genre, les arts prétendument mineurs : SF, polar, BD, rock, séries télé, "toutes les disciplines qui ont conservé le trésor de la narration". "L'impureté" lui est à la fois une morale et une méthode, comme chez Bolaño, Franzen, Echenoz, qui nourrissent aujourd'hui son travail de romancier. Un goût de l'impureté qui confine parfois à la schizophrénie séparant le philosophe du romancier : "Mes romans servent à dire le contraire de ce qu'exposent mes essais philosophiques". Une impureté enfin qui est au coeur de son dernier livre.

Fan de foot

Car quoi de plus impur comme objet littéraire que le sport ? Les trente et une nouvelles qui composent En l'absence de classement final sont comme autant de variations sur la figure du sportif, vu souvent comme une espèce de "freak" ultime, du cycliste dopé au pongiste belgo-chinois en passant par la gymnaste roumaine anorexique ou le hurdler supplicié. Un état des lieux et du monde, sarcastique et réjouissant.Tristan Garcia dit avoir appris la géographie grâce aux Coupes d'Europe de football : "Durant l'enfance, le sport offre un régime de vie." Après avoir longtemps cessé de s'y intéresser, il est revenu vers la passion du sport ces dernières années "parce que c'est quand même le monde dans lequel on vit. Un monde où le paradigme de l'entreprise a remplacé le paradigme militaire. Et puis le sport cristallise la nostalgie, non seulement parce qu'il est constitutif de l'enfance, mais aussi parce qu'il représente une pure image du temps, tandis qu'il y a dans la figure du sportif comme une forme de projection christique, très curieuse". Le projet de base de l'écrivain, assez oulipien, était d'écrire au moins une nouvelle sur chaque discipline sportive. Ramené à un plus juste état des choses, c'est désormais "un puzzle autour du sport dans un monde libéral livré à la compétition".

Tristan Garcia parle du Tour de France comme il le fait de New Order, de Preminger ou de Franju, de l'âge d'or de la BD belge, des soucoupes volantes ou des chroniques rock de Nicolas Ungemuth, comme il écrit, comme il pense : avec la gourmandise de l'amateur.

En l'absence de classement final, Tristan Garcia, Gallimard, 17,90 euros, 205 p., ISBN : 978-2-07-013747-3. Sortie : 5 avril.

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