« C'est quoi être une femme ? », se demande une trentenaire en couple et mère d'un petit garçon, la narratrice du septième livre d'Amandine Dhée publié aux Editions La Contre-allée, qui après La femme brouillon (prix Hors Concours 2017, disponible en Folio) poursuit son exploration de la condition féminine 2.0, sous l'angle particulier du corps et de la sexualité. A mains nues est l'histoire d'une petite fille qui voulait absolument devenir une femme et s'est toujours demandé comment s'y prendre. C'est le parcours d'émancipation sentimentale et sexuelle d'une fille de notre temps, face aux modèles déterminants imposés par la société sur ses désirs. Oscillant entre je et elle, elle raconte « l'individue » libre qu'elle aimerait être et se souvient de l'enfant et de l'adolescente qu'elle a été, du premier baiser à la découverte du plaisir, jusqu'à la maternité, « ce royaume de la norme qu'il faut traverser à coups de machette ». Et à chaque étape, le boulot d'équilibriste pour s'affranchir des injonctions contradictoires, des idées reçues, pour oser assumer ses fantasmes, pour accepter les modalités fluctuantes de son désir, pris entre envie de sécurité et de reconnaissance et besoin de transgression. Et raconter, c'est ici réfléchir, y compris à plusieurs, partager les expériences entre « alliées » au sein d'un cercle de parole ou à la faveur d'une discussion avec une sexologue. Inscrire le parcours singulier dans un cadre politique et questionner la façon dont les clichés formatent collectivement les femmes, et les hommes aussi. « Mes choix tiennent-ils de la sagesse ou de l'obéissance ? », s'interroge-t-elle, comme en écho aux analyses d'une Manon Garcia dans On ne naît pas soumise, on le devient (Climats, 2018), d'une Roxanne Gay ou d'une Carolin Emcke. Car cette héroïne de fiction, avec ses mots directs et sans faux-semblants, son humour à la mesure des doutes et des contradictions qui la travaillent, incarne ce féminisme nouvelle génération engagé (ou réengagé plutôt), entre autres fronts, dans cette « bataille de l'intime » décrite par la philosophe Camille Froidevaux-Metterie dans Le corps des femmes (Philosophie Magazine Editions, 2018). Une bataille qui concerne tout le monde puisque « Nous sommes tous fabriqués. C'est seulement quand on l'a reconnu qu'on peut s'inventer un peu. »