On naît poète, on ne le devient pas, ou si peu", écrit André Velter, poète et directeur de la collection "Poésie" de Gallimard. Un questionnement que partagent apparemment les poètes, toutes générations confondues. "Etre poète aujourd’hui, c’est déjà ne pas être sûr d’être poète", déclare Pauline Von Aesch, née en 1988, qui a publié en 2012 un recueil remarqué aux éditions Nous, Nu compris. "Je ne me sens pas définie par le terme de "poète", bien que faisant de la poésie, comme s’il était un peu suranné ou que le costume était trop grand pour moi (peut-être est-ce générationnel, ce sentiment)", ajoute-t-elle.
Ce mélange de vocation impérieuse et de doute permanent reste de toutes les époques et taraude tous les créateurs. Même si le poète emprunte la voie littéraire la plus étroite, la plus confidentielle et la plus solitaire. "Se dire "je suis poète", voilà une décision souveraine dont l’exigence est relevée par la conscience immédiate d’un risque : celui de briser sa vie sur un écueil. A n’être jamais entendu. A mourir pour du vent. Solitaire de paroles", explique poétiquement Florent Dumontier, né en 1989, lauréat du prix de la Crypte-Jean Lalaude 2015 pour son recueil Sur le perron glissent des spectres d’ombre, publié aux éditions de la Crypte en 2016. Cédric Demangeot, lui, né en 1974, auteur d’une quinzaine de recueils dont le plus récent, Un enfer, est paru chez Flammarion en janvier, estime qu’être poète "consiste avant tout à écrire contre l’Histoire. A contresens." Contre tout ce que Mallarmé appelait "l’universel reportage". "Il faut être au monde quitte à vouloir le changer", renchérit Guillaume Chep, né en 1990, un surdoué "touche-à-tout", à la fois compositeur et chanteur (en anglais), cinéaste, qui travaille à un roman et vient d’achever son premier recueil de poèmes, Comédie cosmique, encore inédit. Tandis que Pierre Vinclair, né en 1982, auteur de trois recueils, dont Les gestes impossibles (Flammarion, 2013), définit le poète comme "quelqu’un qui est à la fois en avance et en retard sur le matérialisme. Il croit à quelque chose comme l’esprit mais il croit que la matière de la langue porte cela."
La tentation de l’ermite
Du point de vue matériel, justement, des moyens d’existence plus précisément, aucun poète n’a fait fortune uniquement grâce à ses œuvres. Lenteur de la création, difficultés à être publié, tirages confidentiels, écho modeste dans la presse et auprès du public, voilà ce qui attend les Rimbaud d’aujourd’hui. Alors "grande est la tentation de se faire ermite, de prendre un bateau, de partir", reconnaît Guillaume Chep. Il y a aussi la possibilité d’avoir un "vrai" métier, alimentaire même si on l’aime : journaliste, traducteur, éditeur, enseignant… Comme Pierre Vinclair, professeur de philosophie au lycée français de Shanghai, et qui glisse des idéogrammes dans ses propres textes. Isabelle Garron, professeure dans une école du numérique, ou Pauline Von Aesch, enseignante également. Cédric Demangeot, lui, "vit très modestement, dans la vallée de l’Ariège", publiant "les livres des autres, aux éditions Fissile". Florent Dumontier et Guillaume Chep sont encore étudiants.
Rencontres physiques
Ces jeunes poètes, pourtant digital native pour la plupart, restent méfiants quant à l’usage des réseaux sociaux afin de se faire connaître, de publier, alors que le monde de la musique s’est emparé de ces outils. Même si Pierre Vinclair tient un blog et que Pauline Von Aesch reconnaît qu’"Internet, moyen de partir à la rencontre d’un auteur de clic en clic, rend davantage visible la poésie", Cédric Demangeot estime pour sa part que "les réseaux sociaux sont un des symptômes de l’époque contre lequel je suis a priori vacciné". Quand à Guillaume Chep, il attend "d’avoir quelque chose de construit à proposer". Isabelle Garron, elle, préfère "les rencontres physiques avec le public : lectures, performances…" Le réseau de rencontres et de manifestations s’étoffe d’ailleurs depuis quelques années. J.-C. P.