12 mars & 1er avril > Poésie Syrie-Liban

Quel que soit le médium qu’il adopte, poésie, prose, dessin, Adonis est poète, au sens que Cocteau, autre créateur polymorphe, accordait à ce mot. Et des plus grands de ce siècle : né syrien en 1930, naturalisé libanais ensuite, ‘Ali Ahmad Sa’id a développé une œuvre majeure, relayée par le journalisme ou l’enseignement, qui lui vaut un vaste rayonnement, dans le monde arabe et partout ailleurs. Chaque année, son nom revient pour un prix Nobel qui ne serait que justice.

Trois ouvrages paraissent aujourd’hui, autant de facettes de son travail. Un recueil de poèmes inédit, Prends-moi, chaos, dans tes bras, superbement traduit par sa compatriote et poète Vénus Khoury-Ghata. Le livre est nourri de quelques voyages récents d’Adonis, au Moyen-Orient, à Londres, à Shanghai ou aux Etats-Unis, occasions de télescoper les lieux et les cultures, de saluer quelques écrivains de référence, Shakespeare, Eliot ou Conrad, de célébrer aussi des héros fondamentaux, Gilgamesh ou Ulysse, deux Méditerranéens qui avaient en commun leur humanité. La poésie, comme un ultime refuge en ces temps de barbarie : "Pourquoi le ciel de notre époque ne sait plus lire que le livre du meurtre ?" s’interroge-t-il, avant d’aller chercher un peu de sérénité "en compagnie de Confucius et de Bouddha".

Depuis la fin des années 1990, Adonis, comme si les mots ne suffisaient plus à exprimer toutes ses émotions, s’est adonné à une œuvre graphique protéiforme. Dessins d’écrivain nourri de calligraphie arabe, mais aussi encres, collages… On pense à Michaux, bien sûr, lequel signait ses œuvres graphiques HM. Adonis, lui, se contente de A. Ses créations récentes seront présentées du 24 mars au 10 mai 2015 à la galerie Azzedine Alaïa, coéditeur de cet album, qui tient lieu de catalogue. Une vraie révélation.

Enfin, le Mercure de France a eu l’idée judicieuse de remettre en vente La prière et l’épée, recueil d’"essais sur la culture arabe" paru à l’origine en 1993. Sous l’éclairage cru du contexte international actuel, ces textes sans concession acquièrent une dimension prophétique, parfois impitoyable. Dans "Culture et démocratie", par exemple, Adonis écrit, sur les fondamentalistes musulmans : "Tuer, pour eux, n’est pas un crime. C’est une purification de la société. […] On comprend bien que la notion des droits de l’homme est incompatible avec une telle vision." Ou, plus loin, dans "Une langue qui m’exile", après avoir décrit la démocratie occidentale, "structure creuse" et pénétrée par l’Occident américain, "tel un cancer soyeux", il diagnostique : "votre Occident, tout comme notre Orient, marche vers l’avenir, mais à reculons".

Jean-Claude Perrier


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