Universitaire, Alain Quella-Villéger est, avec son compère Bruno Vercier - avec qui il a collaboré pour plusieurs essais ainsi que l'édition, presque achevée, du Journal -, le meilleur spécialiste français de Pierre Loti (1850-1923), pour qui il s'est passionné tout jeune. Peut-être parce qu'il est lui-même natif de Rochefort, et qu'il a baigné dans la même atmosphère que le jeune Julien Viaud, le vrai nom de l'écrivain, celui de l'officier de marine, dans sa « prime jeunesse » : dès 17 ans, Julien, afin de fuir un milieu provincial étouffant, confit dans la religion protestante, ainsi que la banqueroute paternelle, qui avait jeté sur la famille Viaud l'opprobre de toute la bourgeoisie locale et fait de ses enfants des « déclassés », avait pris la tangente. Plutôt que pasteur - orientation un temps envisagée, après quoi il rejettera violemment le christianisme, avant de revenir, pour ses obsèques, au protestantisme -, il a choisi de devenir marin, sur les traces de son frère aîné adoré, Gustave, chirurgien de marine, mort en mer en 1865. Désormais, l'officier Julien Viaud passera sa vie à sillonner le monde, « pour voir », et, à partir de 1879 - Aziyadé, son premier livre, un roman, paru sans nom d'auteur, et qui fit un bide retentissant -, le raconter sous son nom de plume de Pierre Loti, bien vite illustre.
Et quelle plume ! Abondante (une cinquantaine de romans, récits de voyage, recueils d'articles et de textes divers, parus de son vivant), plus des posthumes et le Journal. Diverse : des livres, mais aussi d'innombrables articles, dessins ou photographies. Littéraire mais pas seulement : Loti fut ce qu'on pourrait appeler un « écrivain engagé », anticolonialiste, antimilitariste quoique patriote, notamment avant et pendant la guerre de 14, qu'il fit glorieusement, en tant que correspondant sur le front, à plus de 60 ans. Romantique, mélancolique, nourrie par une profonde angoisse métaphysique, une peur panique de la mort, qui lui a fait « tester » la plupart des religions afin de voir laquelle le consolerait le mieux. Résultat : l'islam, dont il se sentait le plus proche, et l'hindouisme, vécu in situ, à Bénarès. Couvert d'éloges, riche et célèbre, académicien français (dès 1891, à 41 ans), Loti fut un homme de son temps, avec ses colères, ses enthousiasmes (pour la Turquie, sa « seconde patrie »), ses détestations (envers les « Boches », bien sûr, mais surtout les Anglais et leur politique coloniale), qui a marqué son époque.
Et puis, il a, après sa mort, disparu des radars, détesté par une certaine modernité (les surréalistes, en particulier) mais « réhabilité » par Barthes, traversé un long purgatoire, même si on le lit toujours, si ses livres sont régulièrement réédités et si des fans militent pour sa redécouverte - au moment même où quelques bonnes consciences ignares ont tenté de salir sa mémoire en l'accusant d'être ce qu'il n'a jamais été -, tout en n'approuvant pas tous ses partis pris, ses excès.
A l'approche du centenaire de la mort de Loti, avec la réouverture de son caravansérail de Rochefort, restauré grâce au Loto du Patrimoine, il était juste que Calmann-Lévy, son éditeur historique et quasi exclusif, publie sa biographie, sérieuse et bien écrite, documentée et littéraire, précise sans être accablante d'érudition. Alain Quella-Villéger s'est attelé à cette tâche redoutable, son sujet ayant adoré brouiller les pistes, et s'en tire magna cum laude.
Pierre Loti : une vie de roman
Calmann-Lévy
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21,90 euros ; 450 p.
ISBN: 9782702163191