Joyce Carol Oates écrit à un rythme effréné, mais elle parvient toujours à nous étonner. La violence est partout dans son œuvre. Elle la scrute avec un œil acéré, afin de saisir ses germes avant qu'elle n'explose. Que révèlent-ils d'une société, d'une époque ? Cette fois, elle explore un thème choc : l'avortement. Deux camps s'affrontent constamment aux Etats-Unis, « les pro vie » et les « pro choix ». La partie de catch fait de nombreux dégâts. Les premiers scandent : « Cessez de vous mentir. Aucun bébé ne choisit de mourir. » Mère Teresa affirmait que « l'avortement provoque deux morts : celle d'un enfant et celle d'une conscience. » Les seconds sont profondément attachés à la liberté. « Les femmes doivent décider par elles-mêmes. Leur corps leur appartient. » Tel est l'avis du Dr Gus Voorhees, exerçant dans l'Ohio. Se croyant investi d'une mission sacrée, Luther Dunphy décide de l'exécuter froidement. « En Amérique, ces tragédies ne sont pas rares. »

L'écrivain s'en empare admirablement à l'heure où certains Etats, comme l'Alabama, imposent des lois très restrictives. « Il est scandaleux que l'Etat se mêle de limiter ce droit. L'avortement me paraît un acte héroïque », estime Naomi, la fille du médecin assassiné. Un acte, point anodin, touchant à la vie, la mort, la diabolisation, la liberté sexuelle, l'éducation, la politique ou la religion. Qui doit juger ce qui est bien ou mal ? L'auteure ne s'y avise pas, elle choisit au contraire de montrer la complexité et la diversité des opinions représentées. Aussi décrit-t-elle l'émotion des familles. « Dans une vie, il y a des tournants. Un tournant et vous n'êtes plus jamais le même. » Tant les épouses que les enfants de la victime et du tueur en font l'expérience douloureuse. Comment rester fidèles à la philosophie de ces hommes ? Pourquoi en sont-ils arrivés à cette idéologie ? Que dit-elle de leur pays ? Comment punir ce type de meurtre, si symbolique ? L'impact collatéral se révèle colossal. Hors du tribunal, la vie continue, mais elle a un prix. Naomi et Dawn, les filles des principaux concernés, vont devoir y faire face. Elles incarnent les femmes de demain, celles qui doivent continuer à se battre pour défendre leurs rêves. Y aura-t-il une trêve ou un dialogue possible ?