Femmes, amour & poésie. André Breton célébrant « l'amour fou » (en 1937), Paul Éluard, « l'amour la poésie » (en 1929), Louis Aragon affirmant, dans Le fou d'Elsa (en 1963) « l'avenir de l'homme, c'est la femme », ce que Jean Ferrat transposera, en 1975, dans l'une de ses plus belles chansons, en « La femme est l'avenir de l'homme »... Dès les origines du mouvement surréaliste en 1924, avec le Manifeste d'André Breton et le bien moins connu mais non moins majeur Une vague de rêves d'Aragon, ses fondamentaux étaient posés et son univers défini, au centre duquel l'amour occupe la place cardinale. Précisons, l'amour hétérosexuel, la passion de l'homme pour la femme − face à l'homosexualité, nombre de surréalistes se montrèrent embarrassés, réticents, voire parfois homophobes.
Cependant, le mouvement, considéré dans sa globalité, a accordé peu de place, parmi ses innombrables publications, aux femmes écrivains. Un peu plus, dans ses expositions, aux femmes peintres, dont certaines ont mené une belle carrière et atteignent aujourd'hui des cotes considérables : Leonor Fini, Dora Maar, Valentine Hugo, Dorothea Tanning, Toyen, Unica Zürn...
D'où cette réputation de misogynie, de machisme qui colle aux basques de Breton et de ses ouailles. Non sans raison, mais sans doute moins que la critique, notamment féministe, voulut bien le dire à une époque. En France, les opinions obéissent souvent à un mouvement de balancier. Après la philippique, voici venu le temps de l'équilibre. Ainsi qu'en témoigne la copieuse anthologie consacrée à trente-trois femmes surréalistes, L'araignée pendue à un cil, composée par Marie-Paule Berranger pour la collection « Poésie » de Gallimard.
Le concept de l'ouvrage (qui coïncide avec l'exposition événementielle Surréalisme, ouverte au Centre Pompidou le 4 septembre) n'est pas inédit. On se souvient encore du numéro 14-15 de la revue Obliques, paru en 1977, qui célébrait déjà « La femme surréaliste » à travers une cinquantaine d'artistes, toutes disciplines confondues. L'opus, magnifique, s'ouvrait sur une déclaration d'amour et d'admiration du grand André Pieyre de Mandiargues, écrivain de la dernière génération surréaliste qui fut très lié à André Breton. On retrouve d'ailleurs sa femme, sa « peintresse », Bona de Mandiargues, dans la présente anthologie, puisque, comme d'autres de ses consœurs, elle a également écrit. Peu, globalement, comme Dora Maar, Dorothea Tanning, ou Unica Zürn. D'autres femmes, en revanche, comme Joyce Mansour ou Gisèle Prassinos (et sa fameuse Sauterelle arthritique), furent de vrais écrivains, ou encore Claude Cahun, la lesbienne radicale, également photographe. En avance sur son temps, elle refusait à la fois le genre « femme » et l'épithète « surréaliste » ! D'autres femmes, encore, jouèrent un rôle capital dans le mouvement, sans avoir pour autant fait œuvre : on pense à Nusch Éluard, à Gala, la femme d'Éluard puis de Dali. Des muses.
Enfin, on saluera la place importante, méritée, consacrée à Annie Le Brun, l'une des dernières irréductibles du surréalisme, disparue cet été, laquelle écrivait à propos des femmes croisées dans les rues de Paris : « Elles portent encore au cou les cicatrices moirées de leurs vies imaginaires. » L'amour, la poésie, et le surréalisme au féminin.
L'araignée pendue à un cil. 33 femmes surréalistes
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 12,20 € ; 528 p.
ISBN: 9782073022479