Avant-critique Science-fiction

Claire Garand, "Paideia" (la Volte)

Claire Garand - Photo © Marcell Krulik

Claire Garand, "Paideia" (la Volte)

Claire Garand nous plonge dans un huis clos oppressant, au cœur d'une station orbitale dans laquelle dix fillettes se préparent à coloniser la Lune pour redonner une chance à l'humanité.

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Par Cédric Fabre,
Créé le 06.02.2023 à 09h00

L'enfance en apesanteur. Ses amies, qu'elle côtoie depuis toujours, s'appellent Adrienne, Vassilissa, Adaline ou Guillemette, mais on ne connaîtra pas son prénom à elle. Les autres l'appellent « Quatre-virgule-deux » pour lui signifier qu'elle est moins intelligente que la moyenne et qu'elle n'aurait jamais dû être sélectionnée pour le projet Paideia, qui consiste à recoloniser la Lune après que les premières implantations humaines y ont été détruites suite à une guerre avec les Terriens. De la Terre, de fait, il ne reste que des décombres... Chaque enfant vit dans une station orbitale avec son « couple parental », effectuant une ultime préparation avant la descente sur la Lune. La petite fille observe les rognures de glace qui s'échappent de la queue des comètes, elle veille sur ses serres qui seront implantées dans la nouvelle colonie, joue avec son chat et se dispute avec ses amies pendant les séances d'école virtuelle. Toutes se moquent d'elle parce qu'elle a des rêves démesurés ; elle aspire à répandre la vie dans tout l'univers, jusqu'à Mars et, certaine de devenir la « Mère exploratrice », elle ne songe qu'à la postérité : « Je devins aussi infinie que l'univers. Comme lui, je m'étendais. Un destin supérieur se courbait devant moi avec déférence, jetait son manteau pur de gloire à mes pieds pour que je le foule sans me blesser sous les gravités à venir. » En attendant, son quotidien est également fait d'injections d'hormones pour accélérer sa puberté ; quand elle aura 7 ans, elle sera en âge de recevoir en elle des embryons génétiquement modifiés et elle portera ainsi, jusqu'à leur naissance, les futurs habitants de la Lune. La Terre n'ayant pas eu droit à un avenir digne de ce nom, elle s'efforce d'accepter la responsabilité d'offrir un futur possible à l'humanité sur son satellite. Il s'agit pour elle et pour ses amies ni plus ni moins que « d'ensemencer l'avenir ».

Il plane dans ce roman une menace omniprésente, alors que l'on éprouve le côté répétitif des jours et une forme d'attente pesante. Le véritable mystère devient peu à peu celui du couple parental de la petite fille. La mère sait être tendre et aimante, le père passe son temps à bricoler dans tous les recoins du vaisseau, parfois entraîne sa fille aux échecs. Elle ignore leur niveau d'intelligence réel, ne sait pas grand-chose de leur histoire. Dans quelle mesure sont-ils humains ? Peu à peu, cette routine prend un tour fascinant, au regard des rêves immenses et de l'espoir fou que nourrit l'enfant, pourtant coincée à la fois dans un habitacle étroit et par des projets conçus par d'autres et qui lui échappent en partie. Prenant le contrepied du space opera, Paideia apparaît comme le grand roman spatial de l'ambition absolue, rythmé par une écriture poétique délicate. C'est le portrait subtil et tendre d'une enfant passionnée mais tenaillée par la peur de l'abandon. Que deviendront les rêves de gosse dans un avenir déjà compromis ? Qui restera-t-il pour acclamer les héroïnes solitaires ?, semble se demander finalement cette petite fille éperdue de liberté.

Claire Garand
Paideia
La Volte
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 19 € ; 334 p.
ISBN: 9782370492135

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