Dans Logique du pire, Clément Rosset propose que la philosophie, traditionnellement obnubilée par l’idée de l’Un, de l’unité de l’Etre, embrasse une fois pour toutes le joyeux bazar qu’un coup de dés jamais n’abolira. N’en déplaise aux cartésiens, le monde n’a pas plus de sens que le tourbillonnement d’actions contradictoires mues par le plus pur des hasards. Dans L’ironie du sort, Didier da Silva applique à la fiction la Weltanschauung de Rosset en enchaînant des événements dont le seul point commun est la coïncidence dans la date : des anniversaires qui tombent le même jour mais pas forcément la même année ou inversement. "En 1925 encore, qui vit à six mois près Boulez Pierre (dans la Loire) et Pialat Maurice (le Puy-de-Dôme) user leur premiére couche à cinquante kilomètres à peine l’un et l’autre, à vol d’oiseau - à comparer avec les quinze mille kilomètres qui séparaient les nourrissons Mishima Yukio et Deleuze Gilles pourtant apparus, eux, à seulement quatre jours d’intervalle, mi-janvier, et qui pour des raisons du reste opposées se suicideront l’un et l’autre en novembre […]." Mais, en littérature comme en philosophie, nous demeurons, tel le bagnard à son boulet, attachés à l’idée de commencement. Aussi Didier da Silva donne-t-il l’impulsion première de son texte par le meurtre à Chicago en 1924 d’un jeune collégien de 15 ans, tué sauvagement par deux étudiants en droit guère plus âgés, 20 ans, "brillants et riches Américains, fils de la meilleure société". Grâce à la plaidoirie brillante de l’avocat Clarence Darrow, Leopold et Loeb, "pain bénit pour les plumitifs que cette assonance de leurs patronymes, les désignant dans un seul souffle et percutante comme un logo", échappent à la peine de mort. Hitchcock allait s’inspirer de ce crime pour La corde. Stevenson, Satie, Méliès, Philip K. Dick, Orson Welles… L’animateur du blog Les idées heureuses fait apparaître une vertigineuse foule de personnages. Ce marabout/bout d’ficelle tissant la concaténation d’événements disparates forme une virtuose sotie pétrie d’absurde. Jubilatoire. S. J. R.
Chronofictions
Didier da Silva enchaîne une myriade de faits divers dont le seul point commun est la coïncidence dans la date, et signe une sotie jubilatoire.