De la démocratie en Amérique

Chronique de l’Amérique trumpienne, Saison 1. Il était une fois dans l’Ouest

De la démocratie en Amérique. Saison 1

Chronique de l’Amérique trumpienne, Saison 1. Il était une fois dans l’Ouest

Dans une Amérique tétanisée par la contre-révolution trumpienne, où une présidence impériale impose ses décrets à un congrès soumis, le système judiciaire américain, malgré une Cour suprême inféodée, apparaît comme le dernier rempart d’une démocratie cherchant à sauver les apparences.

J’achète l’article 1.5 €

Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 19.02.2025 à 11h16

Saison 1 : la série ne fait que commencer. Les acteurs se mettent en place, le scénario est écrit d’avance, mais le suspense est à son comble, l’issue reste incertaine et le pire est à prévoir.

Dictateur le temps d'une journée. C'était la promesse formulée en janvier 2024 par Donald Trump. En politique, il ne faut jamais croire les promesses d’un candidat à une élection. Malheureusement, la journée de Trump dure depuis près d’un mois et tel Charlie Chaplin jouant et dansant avec la planète en forme de ballon, Trump joue avec les nerfs des États-Unis et du monde entier avec ses décrets présidentiels innombrables et ses coups de menton permanents. Le règne du culturisme.   

En ordonnant la suspension d’un certain nombre de décrets présidentiels, la justice américaine apparaît comme le seul contre-pouvoir réel à Donald Trump. Pourtant, la réplique ne s’est pas fait attendre en la personne de J.D. Vance, le vice-président américain, qui a averti : « Les juges n’ont pas le droit de contrôler le pouvoir légitime de l’exécutif. » Ses anciens professeurs de la faculté de droit de Yale se demandent toujours s’il a vraiment suivi leurs cours. En effet, le système judiciaire fédéral américain repose sur une séparation des pouvoirs et le principe de checks and balances (contrôle et équilibre) garantissant que le pouvoir judiciaire puisse limiter les abus du pouvoir exécutif et législatif.

« Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Cette leçon de Montesquieu sera-t-elle la morale de cette histoire américaine ? Avec un Congrès trop divisé et une société civile trop abattue pour constituer une force de résistance efficace, la justice américaine semble le dernier rempart de la démocratie américaine. Le bras de fer engagé entre l’exécutif et le judiciaire pourrait avoir des conséquences profondes sur la démocratie américaine. En effet, si les institutions ne parvenaient pas à contenir Donald Trump, le système politique américain pourrait être durablement transformé, avec un président concentrant toujours plus de pouvoir aux dépens des autres branches du gouvernement. Il n’aurait alors rien à envier à certains régimes autoritaires jadis conspués. Et alors cette phrase prononcée en 2016 lors de la campagne pour les primaires républicaines prendrait tout son sens : « Je pourrais tirer sur quelqu'un, je ne perdrais pas d'électeurs. » Ni même le pouvoir.

Les acteurs

Le rôle principal : Donald Trump, un président impuni et impunissable

Comme tout acteur principal de série B, Trump se croit irrésistible et gère ses failles narcissiques au détriment des autres. Par son élection à la présidence des États-Unis d’Amérique, Donald Trump a été sauvé des poursuites et des condamnations à son encontre et par la décision de la Cour suprême. Principalement dans deux dossiers. Ainsi, dans l’affaire Stormy Daniels, il a été reconnu coupable de 34 chefs d'accusation de falsification de documents commerciaux liés à un paiement de 130 000 dollars versé à l'actrice pornographique Stormy Daniels en 2016, visant à acheter son silence sur une relation présumée ; faisant de lui le premier ancien président américain reconnu coupable d'un crime. Mais, juste avant son investiture en janvier 2025, le juge en charge de l’affaire, Juan Merchan, a prononcé une « libération inconditionnelle », épargnant à Trump toute peine de prison ou amende. Dans l’affaire de la tentative de renversement des résultats de l'élection de 2020, Donald Trump avait également été inculpé mais les poursuites fédérales ont finalement été abandonnées par le procureur spécial Jack Smith suite à l'immunité présidentielle décidée par la Cour suprême. En effet, en juillet 2024, la Cour suprême des États-Unis a élargi l'immunité pénale du président en exercice, disposant que les actes officiels pris pendant le mandat présidentiel ne peuvent pas faire l'objet de poursuites judiciaires après la fin de ce mandat.

 

Sa partenaire à l’écran : Pam Bondi, une procureure générale des États-Unis (équivalent du ministre de la Justice), fan inconditionnelle

Aussi peroxydée que loyale à son patron, Pam Bondi occupe, depuis le 5 février 2025, le poste de procureur général des États-Unis. Ancienne procureure générale de Floride et avocate de Donald Trump dans la procédure de destitution qui le visait pour les abus de pouvoirs de sa première présidence, elle a été confirmée par le Sénat le 4 février 2025, avec un vote de 54 voix contre 46.

La procureure générale est à la tête du département de la Justice et joue un rôle central dans l'application des lois fédérales. Ses principales responsabilités incluent :

La supervision des agences fédérales d'application de la loi, comme le Federal Bureau of Investigation (FBI) et la Drug Enforcement Administration (DEA).

La représentation légale du gouvernement en défendant les intérêts des États-Unis devant les tribunaux, tant dans les affaires civiles que criminelles.

Le conseil juridique en fournissant des avis juridiques au président et aux chefs des départements exécutifs sur des questions légales.

La nomination des procureurs fédéraux en supervisant la nomination des procureurs des États-Unis dans les 94 districts judiciaires fédéraux, qui sont chargés de poursuivre les infractions au niveau fédéral.

L’élaboration des politiques judiciaires en pilotant la politique criminelle et les priorités en matière de poursuites au niveau national.

 

Les seconds rôles : des juges fédéraux américains sous pression

À la fois indépendants et dépendants de ceux qui les ont nommés, les juges fédéraux américains vont jouer le rôle ingrat mais essentiel des seconds rôles qui compliquent ou facilitent la vie du rôle principal. Avec ses faux amis et ses vrais ennemis. La justice fédérale est composée de deux niveaux de juridiction (hors la Cour suprême) :

Les tribunaux de district (U.S. District Courts). 94 tribunaux fédéraux de district répartis dans les 50 États, Washington D.C., et les territoires américains qui traitent des affaires fédérales (crimes fédéraux (terrorisme, fraude bancaire, corruption, trafic de drogue à grande échelle), litiges constitutionnels, affaires impliquant des agences fédérales, conflits entre États, etc.) et sont nommés à vie par le président des États-Unis, avec confirmation du Sénat. Près de 60% de ces juges ont été nommés par des présidents démocrates et 30% par Trump.

Les cours d’appel fédérales (U.S. Courts of Appeals). 13 cours d’appel fédérales, dont une cour spécialisée (Federal Circuit), qui examine les appels des décisions des tribunaux de district sans juger les faits mais en vérifiant l'application correcte du droit et dont les juges sont nommés à vie par le président et confirmation par le Sénat. La répartition est presque égale entre les nominations républicaines et démocrates, avec un léger avantage pour les Républicains et 25% des juges nommés par Trump.

Les affaires relevant du droit des États (meurtres, vols, divorces, affaires commerciales locales) sont traitées par les tribunaux d’État, sauf si elles enfreignent également le droit fédéral.

Avec la participation de la Cour Suprême tendance ultra conservatrice réactionnaire

Ils sont neuf. Samouraïs ou salopards, l’avenir le dira. D’eux dépend le sort des libertés individuelles et des droits fondamentaux aux États-Unis, comme de l’équilibre des pouvoirs. La Cour suprême des États-Unis (US supreme court) est donc composée de neuf juges : un président (Chief Justice) et huit juges associés (Associate Justices). Ils sont nommés à vie et sont le dernier recours judiciaire en statuant sur la constitutionnalité des lois et des décisions judiciaires. Actuellement, la majorité de ces juges a été nommée par des présidents républicains, ce qui confère à la Cour une orientation conservatrice. Cette tendance républicaine a été mise en évidence par plusieurs décisions récentes favorables à Donald Trump, comme l’élargissement de l'immunité présidentielle pour le protéger des poursuites judiciaires. Mais la Cour suprême s’est aussi surpassée récemment en affaiblissant le droit à l'avortement en redonnant aux États la possibilité de légiférer individuellement sur l'interruption volontaire de grossesse, conduisant à des restrictions accrues dans plusieurs États conservateurs, mais aussi en restreignant les droits des minorités sexuelles, en libéralisant la législation du port d'armes ou en limitant les protections environnementales. La majorité est sans complexe autant ultra conservatrice que réactionnaire.

L’intrigue : Le principe du judicial review

Le judicial review (contrôle judiciaire) est un principe fondamental qui permet aux tribunaux fédéraux, et surtout à la Cour suprême, d'annuler des lois ou décisions exécutives si elles violent la Constitution. Ce pouvoir a été établi en 1803 dans l'affaire Marbury v. Madison. Ce principe garantit un contrôle du pouvoir exécutif (ex : invalidation des décrets présidentiels illégaux), une limitation du pouvoir législatif (ex : annulation de lois anticonstitutionnelles) et l’équilibre entre les trois branches du gouvernement. Mais, si la justice fédérale a un rôle clé dans la protection des institutions démocratiques, elle rencontre plusieurs défis : la lenteur du processus judiciaire qui peut prendre des années rendant difficile des réponses rapides aux crises politiques, la dépendance aux nominations présidentielles des juges fédéraux nommés à vie par le président et la difficulté d’application des décisions en l’absence du bon vouloir de l’exécutif…

Les épisodes à venir

Près de 70 plaintes ont été déposées contre l’administration Trump depuis le début de sa présidence. À la fois, contre la remise en cause du droit du sol, le gel des financements fédéraux, les atteintes à la vie privée commises par les boys d’Elon Musk, les licenciements expéditifs des fonctionnaires ou l’amputation des budgets des universités. Même les Églises ont saisi la justice fédérale pour protéger les lieux de culte du décret y autorisant les intrusions de la police de l’immigration.

Néanmoins, sans le respect des décisions de justice et la possibilité de faire appliquer leurs décisions, les juges restent une force sans pouvoir. Ainsi, le juge fédéral du Rhode Island, chargé de la plainte des 22 États concernant les financements fédéraux, a, par deux fois, demandé à l’administration trumpienne de rétablir les crédits. Son injonction été ignorée, malgré le rejet de la demande de la Maison Blanche de maintenir le gel des fonds pendant l’appel.

Face à cette résistance, Elon Musk, à la tête du Département de l'Efficacité gouvernementale, véritable fou du roi, qui joue à merveille le rôle des méchants dans les films de James Bond, à la fois riche, soupe au lait et ayant manifestement un problème avec sa mère, a réclamé la « destitution immédiate » du juge qui avait refusé à ses « experts » en « efficacité gouvernementale » l’accès aux données du département du Trésor. Le suspense reste entier.

« Comme si l’usage du pouvoir ne consistait qu’à faire du mal aux autres ! », disait Salluste dans La conjuration de Catilina.

Suite au prochain épisode…

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

Les dernières
actualités