Avant-critique Science-fiction

Christophe Siébert, "Valentina" (Au Diable Vauvert) : Glasnost, drogue et rock'n'roll

Christophe Siébert - Photo © Philippe Matsas

Christophe Siébert, "Valentina" (Au Diable Vauvert) : Glasnost, drogue et rock'n'roll

Ce troisième roman du cycle de Christophe Siébert consacré à une République ex-soviétique imaginaire nous entraîne dans le quotidien d'une bande de jeunes punks désabusés.

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Par Cédric Fabre
Créé le 21.12.2022 à 14h00

Nous sommes en janvier 2000, à Mertvecgorod, capitale de la minuscule et misérable République du même nom, qui s'est affranchie de l'URSS après une féroce guerre d'indépendance. La mégalopole est coupée en deux par la « Zona », une immense décharge à ciel ouvert. C'est dans ce quartier visqueux que tentent de survivre Karla et sa bande d'amis, Meksi, Laska, Général, Kreditka et Sbrod, qui traînent leurs Docs de squat en squat, parfois écument les maisons de plaisir où, avec la complicité des vigiles, ils dépouillent les clients les plus riches. Ce sont des enfants crasseux de la glasnost, qui savent donner des coups et les encaisser, imbibés de drogues bon marché, d'alcool et de musique. Alors que, de l'autre côté de la ville, les oligarques s'enrichissent, ils ne songent qu'à la prochaine free party dans un vieil entrepôt, tout en braquant les touristes étrangers, en piquant des voitures pour rouler à fond sur l'autoroute ou en fumant des pétards avec les réfugiés tchétchènes du camp voisin.

Après Images de la fin du monde et Feminicid (2020 et 2021, Au Diable Vauvert), Valentina est le troisième roman du cycle des Chroniques de Mertvecgorod de Christophe Siébert consacré à cette République ex-soviétique imaginaire coincée entre l'Ukraine et la Russie. Ce récit au rythme stroboscopique, ponctué d'onomatopées et de paroles de chansons hip-hop ou punk, est une plongée réaliste et brute dans des univers interlopes, une sorte de chronique de la déglingue d'une jeunesse qui a gardé assez de candeur pour ne pas vraiment croire au slogan « No future » qu'elle ne cesse pourtant de marteler. Ils sont esseulés, constamment affamés, mais solidaires et attachés à leur zone d'inconfort : « Ils dorment à moitié, frissonnent, gueules de déterrés, gelés de ce froid si particulier qui accompagne les descentes, cette sensation hyper précise d'occuper le centre d'un monde parfaitement hostile, cette sensation si agréable, qui au lieu de faire bader rappelle qu'on est en vie. » Ils s'accrochent à leur désespérante routine qui jamais ne bascule, jusqu'au jour où l'on trouve le corps de la vieille Valentina Fedorovna, assassinée dans sa maison. Il s'agissait en fait d'un travesti, que tout le monde connaissait et appréciait et, tandis que les flics mènent l'enquête, Klara et ses amis vont squatter la maison et découvrir des trésors cachés, entre lingerie érotique et anciennes photos de l'époque soviétique. La petite bande décide alors d'offrir de dignes funérailles à Valentina et de relancer le fameux carnaval des enfants qui égayait autrefois le quartier. Hélas, un inspecteur de police qui a été l'amant de Klara va jouer les maîtres-chanteurs et contraindre la bande d'amis à un acte meurtrier. Klara est acculée à une situation qu'elle n'a jamais connue, celle qui consiste à faire un choix éthique, qui donnerait aux adolescents l'occasion de découvrir en eux des ressources et des valeurs dont les adultes leur assuraient qu'elles n'étaient plus de ce monde.

Valentina est un roman enfiévré et sous speed, dans un décor au futurisme post-apocalyptique proche des univers graphiques de Bilal, avec une esthétique post-soviétique aussi glauque que fascinante, où les êtres déchus et cabossés cherchent moins la rédemption que l'illusion d'une fin rapide.

Christophe Siébert
Valentina
Au diable Vauvert
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 20 € ; 288 p.
ISBN: 9791030705775

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