Essai/Italie 8 novembre Claudio Magris

Depuis Danube et Microcosmes (Gallimard, 1988 et 1998), la cause est entendue. Claudio Magris est l'une des grandes voix de ce temps, chantre du rêve évanoui de la Mitteleuropa et de ses valeurs de civilisation. Si l'on osait, on écrirait que peut-être l'est-il un peu trop et que ses plus fervents lecteurs, avec les meilleures intentions du monde, ont sculpté pour lui une « statue du Commandeur » qui l'oblige et l'engonce. Là où la solennité et le prix Nobel guettent, la liberté, la nécessaire fantaisie parfois s'absentent.

C'est pourquoi, on se gardera bien de considérer ce nouveau livre, Instantanés, comme un simple appendice à l'œuvre. C'est un recueil de textes, 48 en tout, la plupart du temps très courts, écrits entre 1997 et 2016 et présentés par ordre chronologique. Magris, sa pensée, son regard s'y ébrouent vraiment en liberté. Bien entendu, le cœur de ses échappées belles reste Trieste, point de départ et d'arrivée de l'œuvre comme de la pensée ; mais ces textes peuvent aussi naître de « choses vues » (et aussi sues et lues) lors de voyages, que ce soit à New York, Moscou ou en Inde, entre autres. Il en faut peu pour que démarre l'esprit d'analyse et d'observation de Magris : un collègue qui s'endort près de lui durant une réunion académique, une coupure de journal britannique révélant que les allocations familiales prendront désormais en compte les cas de polygamie, une boîte vocale de téléphone vert. Bien sûr, les zélotes béats du progrès et de la technologie peuvent passer leur chemin, mais les amoureux d'une pensée authentiquement libre, qui suggère plus qu'elle n'assène, et assume son droit à l'erreur, se voient fixer un rendez-vous dans ces pages. Il y a là à la fois un sens très aigu de la scène, une magie hyperréaliste, et une volonté d'en extraire le champ des possibles philosophiques et moraux. Ces fables sont morales. C'est leur vertu. C'est leur limite aussi, lorsqu'elles peuvent tendre à enfermer l'auteur dans une posture un peu « ronchonnante ». En tout cas, elles témoignent de ce que Magris est bien, dans sa mélancolie même, un écrivain pour aujourd'hui.

Claudio Magris
Instantanés - Traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 18 euros ; 192 p.
ISBN: 9782070179305

Les dernières
actualités