FOIRE DE PÉKIN

Chine : le petit bond en arrière

Dans la Foire de Pékin 2012, le stand du groupe d'édition de la région du Heibei. - Photo FABRICE PIAULT/LH

Chine : le petit bond en arrière

Du 29 août au 2 septembre, la 19e Foire internationale du livre de Pékin a manifesté la poursuite de la professionnalisation de l'édition chinoise. Mais si les grands groupes d'Etat se modernisent, les très dynamiques ateliers privés doivent toujours composer avec eux pour obtenir des numéros ISBN. L'attentisme domine à la veille des changements de gouvernants attendus lors du 18e congrès du Parti communiste en octobre.

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Par Fabrice Piault,
Créé le 23.10.2014 à 20h30 ,
Mis à jour le 24.10.2014 à 12h07

Pour la deuxième année consécutive, la Foire internationale du livre de Pékin est organisée, du 29 août au 2 septembre, dans le nouveau centre de foires mal desservi, loin au nord de la capitale chinoise, et les éditeurs locaux en sont accablés. Ceux des maisons publiques n'ont d'autres choix que de participer à la manifestation organisée à l'initiative du Gapp, le ministère de la presse et de l'édition qui assure la tutelle des 581 entreprises d'édition d'Etat du pays, seules habilitées à recevoir des numéros ISBN. Mais nombre d'entre eux ont réduit leur temps de présence dans une foire qui reste peu achalandée. Certains fixent même des rendez-vous en ville, tout comme les responsables des "ateliers d'édition" privés qui, de toute façon, ne sont toujours pas autorisés à y tenir un stand.

Liu Feng, directeur éditorial de Yilin Press: "Nous apprenons des éditeurs privés, qui sont souvent plus dynamiques et prennent moins de temps pour produire un livre."- Photo F. PIAULT/LH

Bégaiement

Dix ans après les premiers assouplissements introduits dans le système éditorial chinois (voir encadré ci-contre), celui-ci semble bégayer. D'abord tolérés, puis officiellement reconnus à partir de 2009, les ateliers privés attendaient la fin du monopole d'Etat sur l'édition, et un accès aux numéros ISBN, au plus tard pour le premier semestre de 2011. Ils sont aujourd'hui plusieurs milliers, dont environ 200 à 300 plus sérieux que les autres, qui réalisent à la manière de packagers, et souvent commercialisent eux-mêmes, une grande part de la production éditoriale et une majorité des best-sellers du pays. Certains comme Thikindom, X-Iron ou Shanghai 99 emploient plusieurs centaines de salariés. Mais, 18 mois plus tard, aucun de leurs responsables ne se hasarde à envisager une échéance pour une libéralisation.

Liu Yan, directrice du département éducation, sciences et culture chez The Commercial Press : "Les ateliers privés paient mieux et plus tôt leurs auteurs, et ils sont très bons pour la promotion et le marketing."- Photo F. PIAULT/LH

Seule zone grise : le numérique. Constatant qu'un livre numérique homothétique pouvait avoir le même numéro ISBN que sa version papier, certains ateliers lancent par eux-mêmes des ebooks dont ils avaient les droits. Mais l'incertitude qui accompagne la perspective du 18e congrès du Parti communiste chinois en octobre, avec de nombreux changements de dirigeants attendus, contribue à l'immobilisme. Le ministre responsable du Gapp, notamment, doit prendre sa retraite. Dans l'édition, l'un des secteurs, avec la presse, les plus contrôlés du pays, le conservatisme et l'attentisme sont de mise. Pour une éditrice d'une grande maison d'Etat, il y a même actuellement "une censure plus importante".

Jiang Lei, éditrice chez Shanghai People's Publishing House : "Dans les maisons les plus anciennes, les changements sont très progressifs, mais les jeunes éditeurs parviennent quand même petit à petit à influencer les anciens."- Photo F. PIAULT/LH

Des ateliers fragilisés

Obligés, pour obtenir des numéros ISBN, de nouer des partenariats avec les maisons publiques, qui disposent de plus en plus de moyens depuis qu'elles ont été incitées à se rassembler en grands groupes en partie cotés à la Bourse de Shanghai, beaucoup d'ateliers sont fragilisés, même si cela n'a pas empêché, par exemple, Shanghai 99 d'acquérir les droits du nouveau roman de J. K. Rowling, qu'il lancera en octobre. Un grand nombre ont dû accepter des participations minoritaires (1) ou majoritaires des groupes d'Etat, qui se servent d'eux pour se revitaliser de l'intérieur. "Nous sommes dans un processus d'intégration de méthodes plus commerciales qui nous viennent des éditeurs privés, qui sont souvent plus dynamiques, prennent moins de temps pour produire un livre et disposent de capacités de distribution plus importantes", admet le directeur éditorial de Yilin Press (140 salariés, 600 titres par an), Liu Feng, également directeur du développement international du Phoenix Publishing & Media Group. En 2010, Yilin a pris des participations de 51 % dans les ateliers Fenghuang Yili (60 salariés, 40 titres par an) et Fenghua Xueman (spécialisé jeunesse).

"Les maisons d'édition traditionnelles, du moins certaines d'entre elles, ont envie de se développer, de s'améliorer, de changer leur manière de travailler", observe aussi Jie Zhiyong, directeur des droits de Beijing BBT, un ancien atelier privé détenu depuis 2004 à 100 % par Guangxi Normal University Press. "Dans les maisons les plus anciennes, les changements sont très progressifs, mais les jeunes éditeurs parviennent quand même petit à petit à influencer les anciens", constate Jiang Lei, qui a rejoint en mai dernier Shanghai People's Publishing House, l'une des maisons du Century Publishing Group.

Des prix parfois déraisonnables

Pour tenter d'accélérer le mouvement, et se doter de nouvelles ressources, The Commercial Press, l'un des plus anciens éditeurs à Pékin, réputé pour ses dictionnaires et manuels de référence, s'est doté en juin 2011 d'un nouveau département, Education, science et culture. Visant le marché grand public, il doit "explorer de nouvelles pistes éditoriales et servir d'exemple au sein de l'entreprise", explique sa jeune directrice, Liu Yan, qui introduit plus de design dans ses maquettes. Elle doit cependant faire face à une forte concurrence. "Les ateliers privés paient mieux et plus tôt leurs auteurs, et ils sont très bons pour la promotion et le marketing", reconnaît Liu Yan.

"Nous sommes entrés dans une période de concurrence de plus en plus féroce entre éditeurs pour acquérir les droits des auteurs importants, chinois comme étrangers", confirme Jie Zhiyong chez Beijing BBT. Et, pour le directeur éditorial de Yilin, Liu Feng, "il y a une énorme concurrence entre éditeurs chinois pour les droits des livres étrangers. Alors que les groupes qui veulent être cotés ne regardent pas à la dépense, les prix augmentent incroyablement et atteignent des niveaux parfois déraisonnables".

Les éditeurs ont d'autant plus de mal à affronter cette évolution que le prix public des livres, même s'il a augmenté récemment, demeure très bas, atteignant à peine 30 yuans (environ 3,50 euros) pour un roman de 250 pages. "C'est l'un des principaux obstacles au développement du marché, notamment pour les sociétés privées", estime David Péchoux, diffuseur et consultant sur la Chine et l'Asie, notamment pour Hachette. Les prix sont aussi tirés vers le bas par la guerre que se livrent les trois principaux vendeurs de livres en ligne, Dangdang, Amazon et 360buy, qui n'hésitent pas à vendre à perte pour gagner des parts de marché. Ensemble, ils assurent plus de 30 % des ventes de livres en Chine, où la librairie, peu professionnelle en général, se révèle extrêmement fragilisée. Selon Patrizia van Daalen, éditrice chez Shanghai 99, on ne compte qu'une trentaine de librairies de qualité dans le pays, dont cinq à Pékin.

Pour contribuer, face aux Etats-Unis, à l'essor du "soft power" chinois, les éditeurs sont aussi fortement incités, aides financières à l'appui, à développer leurs ventes à l'étranger, avec des objectifs chiffrés. Souvent un casse-tête, que les groupes chinois résolvent en créant à l'étranger des filiales qui peuvent leur acheter leurs propres titres. Bientôt en France ?

(1) Voir "Shanghai 99 : la Bourse ou la vie", dans LH 880, du 7.10.2011, p. 30-33.

Pour les Français, "le marché a bien évolué"

Le stand de l'édition française.- Photo FABRICE PIAULT/LH

En force chaque année à la Foire du livre de Pékin, où une quarantaine viennent régulièrement au moins tous les deux ou trois ans, les éditeurs français louent dans un bel ensemble la professionnalisation de leurs confrères chinois. "La foire facilite des cessions plus qualitatives", se réjouit May Yang, responsable droits étrangers chez Eyrolles, pour qui la Chine est désormais le premier marché en Asie. "Il y a trois ans, les éditeurs chinois ne me demandaient que mes best-sellers ou des classiques. Cette fois, je les trouve plus intéressés par ce qui se fait en France, note Aurélie Laure, directrice des droits d'Univers Poche, venue en 2005 et 2009. Ils sont très honorés qu'on leur propose des livres pas encore parus", se félicite-t-elle, pointant aussi les enchères qu'elle a organisées pour la première fois pour départager les candidats à l'achat des nouveautés de Franck Tilliez et de Gilles Legardinier. Sa consoeur à La Découverte, Delphine Ribouchon, à l'agenda "blindé", note de même : "Le marché a bien évolué depuis ma dernière visite en 2005. Il ne se réduit pas à Pékin et à Shanghai : nos interlocuteurs se diversifient."

Des livres plus compliqués

Parmi la vingtaine d'éditeurs et d'agents qui enchaînent cette année les rendez-vous sur le stand du Bureau international de l'édition française (Bief), plus de la moitié représente l'édition de livres illustrés, jeunesse et BD en tête, qui a le plus développé ses cessions en Chine au cours des dernières années. Et dans ce domaine aussi, la demande s'élargit. "Il y a cinq ans, nos albums paraissaient avant-gardistes, se souvient l'agente spécialisée jeunesse Wu Juan, qui représente notamment L'Ecole des loisirs, Actes Sud Junior, Kaléidoscope, Seuil Jeunesse et Sarbacane. Maintenant, je parviens à vendre des livres cartonnés plus compliqués. Le prix des livres augmente, les albums font rêver les éditeurs, qui ne demandent plus seulement des collections, mais sont aussi des albums uniques prêts à être publiés."

"Les prix de vente publics des livres illustrés dépassent enfin les 100 ou 150 yuans (12 et 18 euros) et nous pouvons sortir du broché pour faire du relié à plus de 300 yuans (37 euros) pour un public de nouveaux privilégiés", se félicite aussi Solène Demigneux, créatrice de l'agence Dakai. Paru au printemps à 596 yuans (75 euros) chez Oriental Press, relié sous jaquette, 100 bouteilles extraordinaires (Glénat) a été réimprimé pour atteindre un tirage de 6 000 exemplaires. "Cela ouvre la voie à de nouvelles catégories de livres, reliés ou sous coffret, en jeunesse comme pour les adultes", poursuit l'agente, qui observe "une explosion du lectorat urbain des 20-35 ans, pour lequel le livre est plus un objet cadeau, un objet fun qu'un objet de lecture".

Cependant, "les fortes paginations ne font pas peur aux Chinois, qui aiment les livres illustrés avec beaucoup d'informations", souligne le directeur éditorial d'Hachette Pratique, Pierre-Jean Furet. Il constate beaucoup d'intérêt pour les vins, le "parenting" et l'art de vivre à la française. "Il faut être patients car les processus de décision sont lents dans les maisons publiques", mais "le marché est très actif"


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