Chez les libraires, « le devoir d'être curieux »

Florian Lafani - Photo OLIVIER DION

Chez les libraires, « le devoir d'être curieux »

Après l'avoir longtemps regardée d'un œil circonspect, les libraires portent une attention grandissante à la pop littérature, qui draine une population large et potentiellement captive.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 17.06.2020 à 19h58

Après l'avoir longtemps regardée d'un œil circonspect, les libraires portent une attention grandissante à la pop littérature, qui draine une population large et potentiellement captive.

Depuis janvier, la librairie Le Pavé du canal, à Montigny-le-Bretonneux, a fait migrer la pop littérature, appelée ici « littérature bien-être », des abords du développement personnel au pôle littérature. « Les nouveautés et les coups de cœur sont sur table, en entrée de rayon, et le fonds interclassé dans les étagères, explique Pauline Amiet, directrice du magasin. C'est un choix cohérent en regard de la clientèle que ces romans attirent et qui sont tout autant à classer en littérature que n'importe quelle fiction. »

Signe de la normalisation de la pop littérature, longtemps reléguée aux abords du rayon développement personnel, cette stratégie se répand dans les points de vente où les libraires s'emploient en outre à identifier clairement cette production. La Fnac a créé l'année dernière un univers « cultivez votre optimisme » au sein du rayon littérature. A Quimper, chez Ravy, Valérie Le Bras installe dans son rayon littérature un présentoir en forme de pyramide qu'elle baptise « I feel good » du mois de mars au mois d'août, tandis que la mise en avant est permanente chez Molière (Charleroi) ou chez Grangier à Dijon.

Au-delà de ces dispositifs, certaines libraires s'emparent pleinement de la pop littérature en constatant qu'elle touche un public large, différent, qui ne fréquente pas forcément leur magasin. Jeune libraire, Soline Boissard, 28 ans, a justement été nommée responsable du rayon poche de Grangier « pour ramener ce public en librairie ». Comme Sandrine Dantard à la Fnac de Grenoble, Michèle Eloy au Pavé du Canal, Lydie Zanini, lectrice de longue date à la Librairie du théâtre à Bourg-en-Bresse, ou Julie Vandamme chez Molière, elle multiplie les conseils, les coups de cœur et les animations dans les rayons. Les rencontres, qu'elle a déjà organisées avec Laure Manelle ou Agnès Martin-Lugand lui permettent de toucher « un public plus jeune, moins exigeant littérairement mais actif sur les réseaux sociaux » et qu'elle ne voit jamais lors d'autres événements.

Du monde dans les magasins « Les libraires réfléchissent en économie globale et se rendent compte que ces nouvelles voix drainent du monde dans les magasins », confirme Florian Lafani, directeur éditorial chez Fleuve Editions. « Finalement, notre meilleur argument pour convaincre les libraires reste nos ventes : les gens ont envie de lire ces livres », résume Danaé Tourrand, éditrice achez Leduc.s, qui a d'ailleurs décidé de recruter une responsable de relations libraires chargée de défendre cette production.

Chez Cultura, en revanche, aucune révolution n'a été nécessaire : « Ce genre correspond à notre vision de la culture qui ne repose sur aucune segmentation », souligne Eric Lafraise, chef de produit livre de l'enseigne. « C'est aussi un devoir de nos libraires d'être curieux et de s'intéresser à tout nouveau genre », ajoute-t-il. Club de lecture, théâtralisation de l'offre, concours... Cultura est l'une des enseignes les plus actives sur la pop littérature, dont elle a su très tôt percevoir le potentiel. Partenaire depuis le départ d'Aurélie Valognes ou de Virgine Grimaldi, la chaîne ne cesse de porter de nouveaux auteurs. C'est notamment le sens du partenariat conclu avec Librinova : chaque année, Cultura reçoit cinq textes issus de la plateforme d'autoédition parmi lesquels son comité de lecture sélectionne un coup de cœur qu'elle s'engage à soutenir (mises en avant conséquentes, rencontres et dédicaces) si un éditeur accepte de les publier. Un choix qui « a du poids auprès des maisons », constate Charlotte Allibert, cofondatrice de Librinova, jouant à plein son rôle de réducteur de risques économiques.

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