12 SEPTEMBRE - ROMAN France

Pascal Quignard- Photo JÉRÔME BONNET/GRASSET

En 1996, Pascal Quignard, gros fumeur, souffre d'hémorragies pulmonaires, il est hospitalisé d'urgence. Il se sentait partir : "Ce n'était pas douloureux, c'était même très agréable." Comme un écrivain ça ne peut s'empêcher d'écrire, l'auteur du Sexe et l'effroi couche sur le papier des pensées éparses, des souvenirs de vie et de lectures. Un livre paraîtra, Vie secrète (Gallimard, 1998), une sorte de vita nova, renaissance au bout du tunnel de la maladie et de la convalescence. Quignard imagine alors un ensemble plus vaste, "un océan dont Vie secrète serait le noyau, le septième ou huitième tome d'un ouvrage qui en compterait environ quatorze" : Dernier royaume. Le voilà embarqué dans une entreprise colossale : paraissent en 2002 Les ombres errantes, Sur le jadis, Abîmes (pour lesquels il reçut le prix Goncourt), puis en 2005 Les paradisiaques, Sordidissimes... S'inscrivant dans une certaine tradition française de l'écriture de l'impression, fragmentaire et non systématique (de Montaigne au Rousseau des Confessions, en passant par Pascal et La Rochefoucauld), Dernier royaume a une forme hybride où historiettes, mémoires, érudition se mêlent dans un même mouvement - une même dérive. Il a quelque chose de l'analyse dans ce livre inclassable, entre fiction, essai, poésie, une analyse où les paysages vécus ou rêvés tiennent lieu de discours. Pascal Quignard y revisite sans trêve les thèmes du sexe, de la solitude, de la terreur, de la sauvagerie... Dans ce septième volume, Les désarçonnés, c'est le motif du cheval, figure de la nature indomptée, mais aussi du temps dans les textes védiques, qui se décline au fil des pages. Anecdotes littéraires : Pétrarque enfant, porté par un serviteur, manqua se noyer dans l'Arno, lorsque la jument de sa mère, refusant de les faire passer à gué, regimba et se sauva de l'autre côté de la rive ; George Sand perd son père à quatre ans, lorsque ce dernier tomba de cheval en rentrant d'un concert où "il tint parfaitement sa partie de violon". Mythes : Phaéton, fils du Soleil, ayant perdu le contrôle de son char de feu, est foudroyé avant d'atteindre la Terre et de l'embraser ; Gunnar, l'un des frères Nibelung, qui s'apprêtait à fuir les barons islandais, est soudain désarçonné : cloué au sol, il contemple la beauté environnante... Parfois le texte prend une tournure d'album : image d'un maréchal-ferrant de son enfance, tableau de nature où ce qui la compose bruisse du "bruit de la liberté" telles ces "pommes de pins qui se déchirent et s'ouvrent brusquement"... S'il est beaucoup question, dans Les désarçonnés, de cheval, symbole de singularité rétive à la domestication du groupe, cette part sauvage et insoumise en chacun, il s'agit aussi de lâcher la bride, de l'avoir lâchée, d'être tombé. Ce tome précède Vie secrète, il est ces limbes mélancoliques d'où l'on peut renaître. N'avoir point honte de sa dépression : "Il y a un zèle funèbre dans la volonté d'être heureux à tout moment aux yeux de ceux qui ne le sont pas plus que vous et qui tremblent de mourir comme vous." L'auteur nous exhorte à "refuser le regard des autres", au courage de la vraie liberté.

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