On ne rate plus un livre d’Andrzej Stasiuk depuis sa découverte en France avec Par le fleuve (Le Passeur, 2000) et Dukla (Christian Bourgois éditeur, 2004). Après un roman formidable, Taksim (2011), Actes Sud propose aujourd’hui un texte du Polonais qui date de 1998 et n’avait pas encore été traduit, Pourquoi je suis devenu écrivain.
Le narrateur se souvient du temps où lui et ses camarades (Jasio, Angelo, Napior, Ostas, Krosbi, Juraz et les autres) avaient 16 ans. Quand « la plupart des gens vous sembl[ai]ent] louches », qu’ils n’avaient pas beaucoup de zlotys en poche. En tout cas pas de quoi s’offrir un taxi. Juste assez pour un ticket de bus ou d’un tramway grinçant. Les garçons de la meute fumaient des Etra Fortes sans filtre, celles qui nuisent « le plus à la santé ».
Ces idéalistes écoutaient Pink Floyd ou Slade en cachette, ne connaissaient pas encore les Sex Pistols. Ils se nourrissaient de pain et de lait. Portaient des jeans Wranglers troués et rapiécés, des savates. Le double de Stasiuk avait arrêté l’école, se sentait comme un « outsider ». Il lisait Ginsberg et Cortázar, allait aux concerts de Dexter Gordon ou du big band de Woody Herman, voyageait à travers le pays en train sans cette fois penser à prendre un billet.
Plus tard, il allait travailler à l’usine de meubles d’art, fabriquer des parquets en ne se montrant vite pas très assidu. Il y aurait aussi un détour par l’armée et le service militaire. Lorsqu’il en vient à envisager le suicide et se retrouve en prison avec une gamelle pleine de cailloux et de vers, un morceau de journal en guise de papier toilette.
De l’avis même de son auteur, Pourquoi je suis devenu écrivain n’est « ni un livre de ragots ni un livre à clefs », encore moins un « livre de potins ». A le lire, on goûte plutôt chaque page du texte d’un styliste précis et souple qui avait compris que sa vie d’alors ne se composait pas d’idées et de sentiments, mais d’événements. Une vie dont il rend compte avec le recul, sans pathos ni effet, mais avec panache.
Al. F.