Le Donegal : l’un des comtés de l’Ulster, à l’extrémité la plus septentrionale de l’Irlande. Cul-de-sac excentré, ouvrant sur l’océan, pays mythologique de collines, de landes, de tourbières, de marais, de forêts. Vert, gris, aquatique. Et très déshérité en cette première moitié de XIXe siècle, époque où se déroule le premier roman de Paul Lynch, un débutant de 37 ans qui signe une saisissante entrée en littérature.
Coll Coyle, un jeune paysan pauvre, porté par un exceptionnel instinct de survie, en est le héros. Sous le coup d’une expulsion imminente, il tue accidentellement, dans un accès de colère, le fils du propriétaire des terres qu’il cultive. Les représailles expéditives tenant lieu en ce temps-là de justice, il doit alors fuir précipitamment, abandonnant sa femme enceinte et sa petite fille. Coyle est pourchassé par l’homme de main du domaine, l’impitoyable John Faller, figure iconique du méchant, avec sa stature de géant, son pistolet à silex à double canon et sa pipe qu’il bourre avec un calme imperturbable. C’est un prédateur froid et déterminé, bien décidé à traquer le fugitif jusqu’au bout du monde. En l’occurrence jusqu’en Amérique.
Voilà pour l’histoire, en trois parties : la fuite à pied jusqu’au port de Derry, les deux mois de traversée de l’Atlantique sur un bateau en compagnie d’autres pauvres hères, et l’arrivée à Philadelphie où l’exilé se fait embaucher sur le chantier de construction d’une ligne de chemin de fer. Une cavale éperdue, semée de rencontres plus ou moins bénéfiques - le jovial Cutter, "le Muet" chercheur d’embrouilles… Jonchée de cadavres, aussi.
Paul Lynch, ancien journaliste qui se consacre désormais à l’écriture de fiction, lui-même originaire du Donegal et vivant aujourd’hui à Dublin, raconte que le roman lui a été en partie inspiré par un épisode historique réel : la mort violente d’une cinquantaine d’Irlandais sur un chantier ferroviaire de Pennsylvanie dans les années 1830. C’est sans doute pour cela qu’Un ciel rouge, le matin s’inscrit en partie dans une certaine forme du roman d’aventures nord-américain, lui empruntant ses personnages - l’immigrant, le fugitif, le pionner -, dans une tradition littéraire que l’on a pu admirer récemment chez Brian Leung (Seuls le ciel et la terre, Albin Michel, 2013) ou Gil Adamson (La veuve, Bourgois, 2009). Mais Un ciel rouge, le matin se singularise par le registre lyrique de sa langue qui magnifie les paysages et les éléments, aussi changeants qu’éternels : "onde", "cieux", "ténèbres", "abîmes", "maelström fuligineux" des "flots". L’aube "apparaît comme gondolée, une moirure de pourpre changeant", "les arbres se dépouillent de leur vêture d’obscurité"… Se crée un contraste entre d’amples descriptions nuançant toutes les couleurs du temps et une narration au présent qui tend le récit de bout en bout. Il ne manque rien à ce western transcontinental, filmé par un as de la lumière, pas même une version transposée de gunfight final.
Véronique Rossignol