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Ceci est une Pip

Jonathan Franzen - Photo Philippe Matsas/Opale/Leemage/L’Olivier

Ceci est une Pip

Vaste fresque romanesque et paranoïaque autour d’une jeune femme d’aujourd’hui, de la Californie à la Bolivie en passant par Berlin, Purity offre à Jonathan Franzen l’occasion de confirmer qu’il est bien l’une des très grandes voix de ce temps.

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Par Olivier Mony
avec Créé le 22.04.2016 à 01h00

Elle s’appelle pureté. Purity dite "Pip" Tyler, 23 ans, née de père inconnu et d’une mère passablement agitée du bocal, caissière dans un supermarché de Felton en Californie, qu’elle adore et qui se refuse à lui donner une quelconque précision quant à sa véritable identité ou celle de son géniteur. Elle vit dans un squat à Oakland, au nord de San Francisco, avec 130 000 dollars de crédit étudiant non remboursé et quelques activistes et autres proches du mouvement Occupy, parmi lesquels une militante antinucléaire allemande, Annagret. Celle-ci lui propose de rejoindre en Bolivie le "Sunshine project" du célèbre lanceur d’alertes Andreas Wolf. L’occasion pour elle non seulement de solder ses dettes, mais aussi peut-être d’en apprendre plus sur sa propre histoire. Ce Wolf est un enfant de la guerre froide, né à Berlin de l’autre côté du rideau de fer. Organisant avec minutie le secret autour de sa personne, il veille à ce que nul ne sache vraiment sinon d’où il vient, du moins par où il est passé ni quelle fut la nature de ses rapports avec la défunte Stasi, quelles routes l’ont mené de l’Allemagne vers la Bolivie. Pip, riche de sa seule volonté de non-réconciliation avec le monde, va découvrir peu à peu comment et pourquoi leur rencontre est peut-être moins fortuite qu’il n’y paraît. Sa quête identitaire va lui permettre de croiser à travers la figure d’un homme qui lui veut du bien, Tom Aberant, le monde du journalisme, ses contradictions, sa grandeur paradoxale. Quelqu’un devra mourir, tout le monde devra mentir dans ce royaume des illusions qu’est notre temps.

Le lecteur de Purity, cinquième roman de Jonathan Franzen et quatrième traduit, ne sera pas surpris d’apprendre qu’il est d’ores et déjà, six mois seulement après sa sortie aux Etats-Unis, en cours d’adaptation pour les besoins d’une série télévisée. Cette fresque, politique et feuilletonesque à la fois, s’y prête grandement. Jamais peut-être, plus que dans ces 750 pages, Franzen n’avait déployé autant d’énergie romanesque. Purity, c’est son Bûcher des vanités, c’est Dickens à l’heure des big data. Bret Easton Ellis ne s’y est pas trompé, débusquant ce que le classicisme assumé de l’écriture de Franzen peut avoir de pernicieux et tressant des couronnes de laurier à ce livre passionnant. Le romancier s’y montre plus que jamais virtuose dans l’art de camper ses personnages, l’art du dialogue également. Il semble illustrer la phrase de Barthes selon laquelle "il y a un jour où il faut cesser de se préoccuper d’être moderne" et, en même temps, incarne dans le paysage littéraire contemporain cette modernité : celle de l’intelligence, du retour à la fiction puisque tout réel l’est déjà. Si vous avez envie de comprendre non pas le sens de la vie mais au moins celui de la vôtre, Purity connaît la réponse. Olivier Mony

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