"C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme", a écrit un barde contemporain. On croirait que la formule a été inventée pour Joshua Slocum (1844-1909). Il consacra sa vie entière, et celle de sa famille, à l’aventure en mer, la vraie, la noble, la navigation à voile, pourtant déjà, de son temps, mortellement concurrencée par les bateaux à vapeur.
Slocum fut un personnage d’exception. Ce marin, aventurier, mais aussi armateur, businessman (manqué) et père de famille était un homme austère et pieux, courageux, autodidacte devenu gros lecteur, et même auteur d’un livre, unique mais culte, un classique de la littérature hauturière : dans Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres, paru en 1900 et dont il fit un best-seller, il livrait la chronique du premier tour du monde en solitaire. Star (contestée) de son vivant, habitué des journaux, ayant connu tant d’aventures et de mésaventures - plusieurs mutineries qu’il dut réprimer fermement, la perte de sa femme chérie et mère de ses quatre enfants, Virginia, qui l’avait accompagné partout, en 1884, au large de l’Argentine, des naufrages et des revers de fortune, et même une accusation, mensongère, de viol sur une mineure, en 1906 -, il méritait amplement de sortir du relatif oubli où il demeure en France, même si son livre a été traduit plusieurs fois. C’est le journaliste Alexandre Boussageon qui s’est attelé à cette tâche, de façon originale et plaisante, même s’il ne nous épargne pas toujours des expressions marines parfaitement hermétiques au profane.
Plutôt que de suivre un parcours strictement chronologique, Boussageon a choisi d’ouvrir en 1895, quand Slocum, sur le Spray, part pour son tour du monde. Puis, en flash-back, il jette des coups de projecteur sur certains épisodes marquants de la vie de son héros, depuis son enfance à coups de trique, élevé par un père bottier de Nouvelle-Ecosse qui voulait qu’il lui succède - Joshua fugue pour la première fois en 1868, à 14 ans, sur une goélette de pêche, jusqu’à son second mariage malheureux avec sa cousine Hettie. Puis, le récit reprend à partir de 1895, jusqu’à la disparition de Slocum, dont on a fini par reconstituer les circonstances. Parti le 14 novembre 1909 sur le Spray, en solitaire vers l’Amazone, son bateau semble avoir été fracassé par un cargo au large des côtes américaines. A 65 ans, Slocum, qui ne savait pas nager, s’est noyé. Mais, pour les amateurs, le mystère demeure. Même Victor, son fils aîné, son second, qui a écrit un livre sur son père (traduit chez Glénat en 1997), n’en savait guère plus. C’est ainsi qu’un homme passe de l’histoire à la légende. J.-C. P.