Après un faux départ avec une polémique autour de l’exposition célébrant le centenaire de la naissance d’Albert Camus, la « célébration nationale » a été vraiment lancée le 15 juin sur le terrain municipal de Lourmarin par Catherine Camus : la fille de l’auteur de L’étranger a donné le coup d’envoi d’un match de foot, sport cher à son père, qui opposait les espoirs de Lourmarin à l’équipe « Camus 100 », où l’on comptait parmi les attaquants l’éditeur de Gallimard Jean-Marie Laclavetine et le secrétaire général de la maison, Alban Cerisier, qui marqua un but du gauche.
Statut particulier.
Gallimard, éditeur de l’œuvre de Camus, participe en effet activement à cet anniversaire avec pas moins de vingt-deux titres publiés à la rentrée, dont trois volumes inédits de correspondance (voir p. 16). « Camus fait partie de ces écrivains au statut particulier chez Gallimard, qui ont eu un rôle éditorial dans la maison », explique Alban Cerisier qui coordonne ces publications. Un pari pour la maison, mais un risque mesuré car l’auteur reste une valeur sûre du catalogue, avec un long-seller, L’étranger. Chaque année, Folio vend désormais 160 000 exemplaires de l’ouvrage qui est « le titre le plus prescrit en classe de première », selon l’éditeur. Toutes éditions confondues, ses ventes atteignent 8 millions d’exemplaires (avec une progression de 9,5 % entre 2007 et 2012) après un premier tirage à 4 400 exemplaires en pleine Seconde Guerre mondiale et deux réimpressions équivalentes fin 1942 et début 1943. Surtout, les valeurs transmises par les écrits de Camus entrent aujourd’hui en résonance avec les interrogations du monde actuel, et les ventes de l’ensemble de ses ouvrages, qui se chiffrent à 22 millions d’exemplaires en langue française, ne cessent d’augmenter.
Au programme de Gallimard, on trouvera donc un « Quarto » mais aussi un passage en Folio des Carnets, deux pièces de théâtre (Un cas intéressant et La dévotion à la croix), ses Journaux de voyages et ses articles à Combat ainsi qu’une nouvelle édition de l’essai d’Yves Marc Ajchenbaum sur Combat et quatre coffrets dont L’absurde et La révolte réunissant plusieurs textes. François Berland lit La chute, un CD disponible en « Ecoutez lire », et deux biographies de Pierre-Louis Rey et de Virgil Tanase seront remises en vente. Un ami d’enfance de l’écrivain, Abel-Paul Pitous, témoignera dans Mon cher Albert. Enfin, deux albums compléteront cette célébration de papier, celui de Catherine Camus (voir p. 16) et le catalogue accompagnant « Albert Camus, citoyen du monde ».
Expo.
Car il y aura bien une exposition à la Cité du livre d’Aix-en-Provence, du 5 octobre au 4 janvier. Mais à la suite des cafouillages des débuts (voir ci-contre), on a préféré au commissariat médiatique une direction scientifique, avec Agnès Spiquel, Marie-Sophie Doudet, Pierre-Louis Rey et Maurice Weyembergh ainsi que la responsable du Centre Albert Camus, Marcelle Mahasela. L’exposition sera marquée par la création multimédia dans sa scénographie, signée Yacine Aït Kaci. Plusieurs débats sont annoncés, notamment autour de « Vivre avec Camus », documentaire diffusé sur Arte le 9 octobre à 22 h 20. Le jour de l’anniversaire, le 7 novembre, l’émission « La grande librairie » émettra depuis la bibliothèque Méjanes d’Aix. Lourmarin prévoit aussi son exposition, lors du Salon du livre ancien et de la bibliophilie du 5 au 8 septembre.
Gallimard ayant les droits pour toute l’œuvre camusienne, les autres éditeurs se sont centrés sur le personnage ou sur le commentaire de sa pensée. En plus des titres du premier semestre (1), une quinzaine de nouveautés (2) viennent s’ajouter à celles de Gallimard. Outre les rééditions de la biographie d’Herbert R. Lottman (Le Cherche Midi, 12 septembre) et de l’album de Catherine Camus (M. Lafon, 17 octobre), Benjamin Stora revient sur la polémique de l’exposition (voir ci-contre), Paul Audi livre Qui témoignera pour nous ? (Verdier, 12 septembre), Baptiste-Marrey brosse Albert Camus, un portrait (Fayard, 18 septembre), Henri Guaino imagine le discours pour Camus au Panthéon (Plon, 29 août) et Jean Monneret s’interroge sur Camus et le terrorisme (Michalon, 12 septembre).
Les « Cahiers de l’Herne » lui dédient un volume le 18 septembre et Nathalie Castetz propose aux lycéens Camus : un siècle de littérature (Belize, 19 septembre). Salim Bachi opte pour le roman dans Le dernier été d’un jeune homme (Flammarion, 25 septembre) et, après s’être attaqué à L’étranger, l’Argentin José Muñoz illustre Le premier homme (Futuropolis, novembre). Enfin, José Lenzini, auteur d’un essai chez Actes Sud en juin, prépare une biographie en BD avec Laurent Gnoni, Albert Camus, entre justice et mère (Soleil, 23 octobre).
A.-L. W.
(1) Voir LH 941, du 15.2.2013, p. 6.
(2) Voir la bibliographie complète sur Livreshebdo.fr.
Camus brûle-t-il ?
Brutalement évincé en mai 2012 de l’exposition du centenaire Camus qu’il devait proposer dans le cadre de Marseille-Provence 2013, Benjamin Stora signe avec le documentariste Jean-Baptiste Péretié un Camus brûlant qui remet les pendules à l’heure… L’ouvrage revient sur le « pataquès » d’Aix-en-Provence, « une des villes françaises où les nostalgiques de l’Algérie française forment, aujourd’hui encore, soulignent-ils, un groupe de pression non négligeable ». Là où se trouvent les archives de l’écrivain, mais aussi une mairie qui « était, semble-t-il, hostile à l’un de nous, historien spécialiste du Maghreb ». Les deux auteurs souhaitaient notamment montrer « l’engagement de Camus contre les injustices de l’administration coloniale et sa position complexe lors de la guerre d’Algérie ». Cela reste sans doute insupportable aux yeux de certains partisans de la « nostalgérie »…
Au-delà de la polémique, ce petit livre fait aussi œuvre de pédagogie contre tous ceux qui voudraient annexer la pensée de Camus, le lire de manière univoque, l’enrôler dans des combats politiques douteux - jusqu’à l’extrême droite. Le malentendu sur l’auteur de L’étranger n’épargne pas non plus sa terre natale. En Algérie, il est souvent réduit sur le plan esthétique à un « écrivain colonial », sur le plan politique à un « militant de l’Algérie française ». On en rallumerait presque la querelle avec Sartre.
Appropriation excessive d’un côté, rejet radical d’un autre… Pour Stora et Péretié, l’écrivain apparaît pourtant « comme une référence de justesse et de mesure, notamment sur les questions de la violence et du terrorisme ». « Homme entre deux rives », il a voulu jeter des ponts pour prévenir les haines réciproques, les séparations. Aujourd’hui sorti du purgatoire, Camus est devenu « une référence majeure pour toute une frange de la gauche sociale-démocrate ». Une autre forme de captation.
Michel Puche
Camus brûlant de Benjamin Stora et Jean-Baptiste Péretié, 120 p., Stock. En librairie le 4 septembre.
Les correspondances avec Martin du Gard, Ponge et Guilloux
Gallimard propose trois volumes inédits de la correspondance de Camus, des années de guerre jusqu’à sa mort, avec trois figures littéraires de son temps : Roger Martin du Gard, qu’il rencontra en 1944 alors que l’auteur des Thibault était déjà chenu et nobélisé, Francis Ponge, dont il fit la connaissance à Lyon en 1943, et Louis Guilloux, fidèle ami de Jean Grenier, le mentor de Camus, qui les présente chez Gallimard en 1945. Camus, imposé dès la publication de L’étranger en 1942 comme un écrivain majeur, directeur de la revue Combat et animateur de la collection « L’espoir » chez Gallimard, échange avec ces trois hommes de façon à la fois semblable, puisqu’on y trouve toujours un épistolier sincère, prêt à avancer une mensualité ou à faire circuler un manuscrit, et totalement différente. C’est l’intérêt de lire ces trois volumes comme un triptyque. A Martin du Gard, Camus voue une tendresse filiale, et c’est avec une affection toute paternelle que celui-ci se réjouit, en 1957, de la distinction de Camus par l’académie suédoise (« vestimentairement […] on s’en tire avec quatre tenues, mais pas moins », lui indique-t-il dans une longue lettre). Les rapports entretenus par Camus et Ponge sont très différents : émerveillés par leur lecture réciproque, les deux écrivains débattent de l’absurde, de la création poétique, du communisme. Leur échange est riche, notamment la critique du Parti pris des choses à la lumière du Mythe de Sisyphe. Mais l’intérêt intellectuel ne se convertira pas en une amitié aussi profonde que celle qui lie Camus à Louis Guilloux. La complicité qui unit l’auteur du Sang noir et celui de La peste semble totale : vacances communes, relecture de manuscrits, conseils de santé… C’est aussi Guilloux qui mènera Camus sur la tombe de son père, mort au combat, épisode fondateur du Premier homme. Dans ses lettres, Camus se montre un peu fouillis, mais toujours attentif, et l’ensemble dresse un riche tableau de l’après-guerre littéraire. Le pointilleux appareil d’annexes établi par des spécialistes de ses interlocuteurs permet de se plonger dans le tourbillon de cette époque.
Fanny Taillandier
Catherine Camus : "J’ai l’impression d’avoir 168 ans"
Avocate de formation, la fille de l’écrivain exerce depuis longtemps le « métier d’ayant droit » d’une œuvre universellement connue.
Cela fait maintenant près de trente-cinq ans que Catherine Camus veille sur l’héritage de son père, avec pour seul credo le respect de sa pensée et de son œuvre. Une tâche lourde, complexe, dévorante. Après un certain nombre d’initiatives malheureuses et avortées, la France s’est mise en ordre de marche pour célébrer le centenaire de l’écrivain, né à Mondovi, Algérie. Bien que, dans sa famille, « on ne soit pas très commémorations », Catherine Camus en est un peu le chef d’orchestre. Pour Livres Hebdo, qu’elle a reçu à Lourmarin, dans la maison familiale où elle vit toujours, elle a accepté de faire le point sur cet événement et tenu à rétablir quelques vérités.
Propos recueillis par Jean-Claude Perrier