13 février > Roman Etats-Unis

Gil Scott-Heron- Photo DR/L’OLIVIER

"Un pianiste du Tennessee, rien de plus." Qui reconnaîtrait le grand Gil Scott-Heron, le bluesman à la voix de toile émeri, dans cette humble autodescription ? La dernière fête, les Mémoires de cette icône de la musique américaine noire des années 1970, mort en mai 2011 à 62 ans, révèlent plutôt à chaque page une personnalité hors du commun, justifiant le culte que lui vouent des générations de fans. Gil Scott-Heron, c’est le poète connu pour ses chansons scandées parmi lesquelles le dénonciateur The revolution will not be televised, qui lui ont valu le titre de parrain du rap, appellation qu’il n’aimait guère et qu’il n’a jamais revendiquée. Ce sont des tubes imputrescibles (The bottle, Angel dust, Johannesburg ou I’ll take care of you) au croisement de la soul, du funk et du jazz, devenus si mythiques que certains d’entre eux avaient été remixés par le jeune chanteur des XX, Jamie Smith, pour l’enregistrement du disque We’re new here, en 2011, qui signait la somptueuse résurrection de Gil Scott-Heron, après quinze ans de descente aux enfers.

"J’attribue souvent aux Esprits des choses qu’il m’est sincèrement impossible d’expliquer autrement", raconte le musicien. De l’esprit, accordé à une conscience politique active, ce livre, plein d’humour, dont le poète-musicien a entamé l’écriture au début des années 1990, en est irrigué. Un bon tiers de ces quelque 300 pages à la poésie claire, ironique, s’attache à la jeunesse de l’artiste, né à Chicago, d’un père d’origine jamaïquaine, footballeur, disparu très tôt du paysage, et d’une mère "lettrée" sortie du Tennessee. Dans ce Sud provincial ségrégationniste, le garçon passera les premières années de sa vie, éduqué par sa grand-mère à Jackson, à 150 kilomètres à l’est de Memphis. Jackson : son home. "C’est là que j’ai commencé à écrire, que j’ai appris à jouer du piano, que j’ai commencé à vouloir écrire des chansons." Puis à la mort de la grand-mère, en 1962, c’est l’installation avec sa mère et son oncle dans le Bronx. Il a 13 ans. Suivront les années d’adolescence marquées par l’admission comme élève boursier dans le huppé lycée blanc de Fieldston où il pratique, quand les injustices se font insupportables, "une forme mélodique de guérilla". Etudes qui le conduiront ensuite jusqu’à l’université noire de Lincoln en Pennsylvanie et à l’écriture à 19 ans de son premier roman, Le vautour (L’Olivier, 1998, Points, 2007).

La dernière fête, autant qu’une traversée engagée de trente ans de luttes civiques et d’expérimentations artistiques, est une reconnaissance de dettes à deux héroïnes féminines, la grand-mère maternelle, Lily Scott, qui lui a appris à lire et à compter, "et à respecter l’éducation", et la mère Bobby dont le fils salue "la franchise de [ses] critiques". Un hommage aussi à Stevie Wonder que Gil Scott-Heron a accompagné en 1981 lors de la tournée "Hotter than july" durant laquelle le chanteur militait pour faire du jour de naissance de Martin Luther King un jour férié, dédié aux Afro-Américains. Ce qui sera finalement légalisé en 1986. Véronique Rossignol

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