Le train de Brive parti de la gare d’Austerlitz vendredi 7 novembre à 7h45 a pu sembler moins plein que les années précédentes aux habitués. Certains auteurs et éditeurs lui ayant préféré le suivant qui arrivait plus tôt, délaissant au passage le foie gras et le vin qui en font la réputation, l'impression s'est toutefois révélée trompeuse. Comme dans tous les événements en province ou à l’étranger, les éditeurs et les auteurs sont toujours aussi nombreux, mais restent moins longtemps.
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Dans le train, on croise Amélie Nothomb qui s’amuse à faire le compte de ses 33 foires, Christine Ockrent venue pour Le Trump de A à Z (Denoël), Denis Olivennes pour son Dictionnaire amoureux des juifs de France (Plon), Adélaïde de Clermont-Tonnerre forte de son récent prix Renaudot, ou encore Denis Brogniart qui présente ses Photos du bout du monde (Flammarion).
Présents également Anne Berest, Franck Bouysse, Ambre Chalumeau et Philippe Claudel, président de l’Académie Goncourt, et de la Foire cette année avec Boualem Sansal, président d’honneur incarcéré en Algérie. Ce qui nous donne un avant-goût de la variété du plateau présent, rappelant que Brive est la foire de tous les livres, où se croisent essayistes, romanciers, journalistes, politiques et célébrités de toutes obédiences dès lors qu’elles ont écrit un livre.
Une première journée très remplie
Et lorsque nous pénétrons dans la halle Georges-Brassens vers 14 heures, le public est bien là, et les files d'attente pour se faire dédicacer les livres sont déjà longues. Chez XO, devant Bernard Minier et Nicolas Beuglet par exemple. Frédéric Mora directeur éditorial de Julliard, venu avec David Diop et Sarah Chiche nous explique qu’emmener ses auteurs à Brive-la-Gaillarde, comme à Nancy quelques semaines plus tôt, leur apporte « une visibilité équivalente à des centaines de signatures à travers la France. »
Le soir à l’hôtel la Truffe Noire, les festivaliers se retrouvent pour chanter à tue-tête des vieux tubes de Johnny ou de France Gall autour d’un pianiste. Une tradition qui a eu cette année les honneurs de la Une de La Montagne. Pendant qu’Alfred de Montesquiou, auteur du Crépuscule des hommes (Robert Laffont), nous explique avec un certain humour paradoxal que son livre était « le seul vrai roman de la sélection du Goncourt et du coup on m’a donné le prix Renaudot essai. »
Nous nous dirigeons ensuite vers le Cardinal, la boîte de Brive, autre rendez-vous obligé de la Foire pour toutes les maisons qui mettent un point d’honneur à y avoir chacune leur table. Sur la piste de danse se trémoussent de concert Xavier Bertrand et Raphaël Quenard, Clara Ysé et Camille Kouchner…
La lecture, enjeu de civilisation
Le samedi matin, au cinéma de Brive, notre collaboratrice, Pauline Gabinari modère une table ronde dans le cadre des États généraux de la lecture, organisés par le Centre National du livre et de Syndicat national de l’édition. Augustin et Adèle, deux lycéens de Brive dévoilent une intéressante étude sur la lecture chez leurs camarades collégiens. Il en ressort que les filles lisent bien plus que les garçons, et que l’usage de l’intelligence artificielle est inversement proportionnel aux habitudes de lecture papier.
La neurologue Servane Mouton, autrice d’Écrans, un désastre sanitaire (Gallimard), le romancier aimé de la jeunesse Timothée de Fombelle et le directeur du Livre et de la lecture du ministère de la Culture Nicolas Georges apportent d’intéressants éclairages sur cette question de civilisation. L’espace des trois provinces tout proche, dédié à la littérature jeunesse fait lui aussi le plein.
De retour à la Halle Brassens, à quelques pas de Xavier Bertrand venu présenter Rien n’est jamais écrit (Robert Laffont), Ségolène Royal signe Mais qui va garder les enfants ? (Fayard) aux côtés d’Éric Naulleau venu défendre La République, c’est lui ! son pamphlet contre LFI. Yenad Mlaraha et Anissa Naama de la communication de Fayard se félicitent que le prix du Quai des Orfèvres 2025 Olivier Tournut ait déjà signé les 400 exemplaires disponibles. « On nous dit qu’il y a déjà 10 000 personnes de plus que l’an passé » se réjouissent-ils en cœur.
Les politiques au cœur de la Foire
En face chez JC Lattès c’est Édouard Philippe qui dédicace Le prix de nos mensonges, son sixième livre. Vincent Eudeline, responsable des relations libraires, calcule à haute voix : « Aurélie Valognes a signé 300 livres, Sophie de Baere, prix des lecteurs de la ville de Brive cette année, 200. Notre libraire parle de + 30 % vendredi par rapport à l’année dernière. Un client a demandé huit exemplaires du même livre et est revenu en chercher un neuvième. »
« On vient ici se faire dédicacer des livres pour les cadeaux de Noël, explique Cécile Boyer-Runge des éditions Points, dont les poches se retrouvent sur différentes tables. Il y a autant de monde car c’est une occasion de voir de près les auteurs, c’est un plaisir pour les lecteurs, une gratification pour eux. C’est à la fois très parisien et très anti-parisien. Des gens de toute la région viennent à Brive ce week-end-là acheter des livres comme du foie gras, c’est le résultat du travail de François David et de son équipe depuis des années. »
Alors que les prix Goncourt Laurent Mauvignier (P.O.L.), Femina Nathacha Appanah (Gallimard) et Renaudot Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset) enchaînent les signatures, Amélie Nothomb (Albin Michel) et Sophie Jomain (Charleston) doivent elles aussi écluser des files d'attente de plusieurs dizaines de mètres.
Rémy Verne, en charge des relations libraires chez Albin Michel, note : « Les chiffres sont clairement meilleurs que l’année dernière. Pour nous, c’est un gros investissement humain : 15 auteurs et 11 accompagnants. Le succès dépend du type d’auteur, certains vendent plus en librairie, d’autres dans ce type de salon. Disons qu’ici il y a une prime aux auteurs connus et au feel good. »
Des auteurs populaires
Anne-Laure Heugel, son homologue chez Laffont ajoute : « Pour Robert Laffont, ce n’est pas une question de chiffre, notre maison est l'un des piliers de cette foire. » C’est en effet chez elle qu’ont été publiés les auteurs de l’École de Brive, autour de laquelle s’est créée la manifestation. Dernier représentant des fondateurs de ce mouvement, Christian Signol (désormais chez Albin Michel), fidèle au poste depuis les années 1970, affirme vendre jusqu’à 1 000 livres certaines années.
Venu avec sept auteurs et quatre accompagnants, Laffont note le succès que rencontrent Jean-Michel Aphatie ou Xavier Bertrand, toujours lui. « Mais le plus marquant, c’est l’affluence pour Alice Pol, elle a déjà vendu 250 exemplaires de son nouveau livre alors que c’est le troisième tome de la saga. Et elle signe presque autant d’exemplaires des tomes précédents en grand format, bien qu’ils soient déjà sortis en poche. »
Les chiffres communiqués par la Foire viendront prochainement compléter ces impressions positives d’une 43e édition réussie. Nicolas Poret, président du GIE des libraires de Brive, a laissé entendre dans La Montagne que le chiffre d'affaires d'1 million d'euros de l'édition 2024 pourrait être dépassé.


