Journal du confinement

Benoît Bougerol : "La proximité, pour le moment, c’est le vide des rues et des places"

Sur une porte de la Maison du livre, à Rodez, fermée le 16 mars 2020 pour suivre les directives gouvernementales dans la lutte contre le Covid-19. - Photo D.R.

Benoît Bougerol : "La proximité, pour le moment, c’est le vide des rues et des places"

Neuvième  épisode du « Journal du confinement » de Livres Hebdo, rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui Benoît Bougerol, propriétaire des deux librairies : La maison du livre (à Rodez) et Privat (à Toulouse).

Par Fabrice Piault,
Créé le 26.03.2020 à 20h00

« Nous n’y croyons pas mais le ciel nous est tombé sur la tête. Uderzo n’aurait pas dit mieux…
Donc un samedi ensoleillé, presque de printemps, après avoir fermé la librairie, la nouvelle tombe comme un couperet : fermeture tout de suite, dès lundi.

Les clients s’étaient rués en librairie depuis jeudi, nous venions de faire un samedi en forte progression, surtout pour le rayon parascolaire, pris d’assaut par des parents inquiets. Nous nous attendions à ce que cela se poursuive la semaine suivante.
 
Mais voilà, lundi et mardi, nos réceptionnaires déballaient les dernières palettes Prisme, nos comptables s’activaient à déclarer la TVA, et ensemble nous essayions de comprendre comment gérer le chômage partiel, chose inconnue chez nous, et en général en librairie. En même temps (si j’ose dire), il fallait gérer les courriels inquiets des clients, les commandes non livrables qui arrivaient, et arrivent encore sur notre site.

Comment gérer ce temps bizarre ?
 
Me vient à l’esprit le dessin de la chute d’un homme dans le vide. Dans la légende : "jusqu’ici tout va bien !" Il faut aussi subir les commentaires extraordinaires sur les radios de tous ceux qui disent : pourquoi on n’a rien fait avant, pourquoi rien n’est préparé, pourquoi laisse-t-on le 1er tour... Ceux-là même qui critiquaient les précautions prises, parlaient de grippe, tenaient à ce que le 1er tour se tienne...
 
La librairie est donc fermée, ce qui n’était jamais arrivé, peut-être, depuis sa création en 1946. Je passe au bureau ranger quelques papiers, consulter les courriels, collecter des informations pour des collègues libraires ou commerçants en lien avec la CCI, dont je suis vice-président, ou avec le SLF, et Guillaume Husson, de loin, si cela peut être utile. Comment gérer ce temps bizarre, les rumeurs et les débats oiseux, les clients du site qui veulent être remboursés pour commander chez qui vous savez ?

Des commentateurs annoncent le retour de la proximité face à la mondialisation. En attendant, c’est la grande distribution et les colis des grandes plates-formes qui sont gagnants. La proximité, pour le moment, c’est le vide des rues et des places, la queue étirée devant la boulangerie et le boucher au cœur de la vieille ville de Rodez.

Besoin de médiation, de relations, de lenteur

Livres Hebdo me demande comment je vois l’avenir. Question utile, certes, mais que répondre ? Cette crise nous fera-t-elle collectivement devenir plus raisonnables, je l’espère, mais j’en doute. J’ose espérer que le temps long de la réflexion, de la pause qui permet de poser les bonnes questions, de cet arrêt, sera propice à la lecture, aux livres, de manière générale à la culture, au sens de ce que nous vivons. Redire que nous avons besoin de médiation, de relations, de lenteur. Et que l’immédiateté, la livraison tout de suite, la lecture prédigérée de news en mode flash, la vie liquide, ne sont que chimères qui ne sont pas du tout au service de l’homme, de l’humanité.
 
Et je reviens à notre humble rôle de libraire, de passeur, au cœur de la cité. Est-ce que cet avenir incertain sera enrichi par cette crise ? Notre monde a connu d’autres crises, plus graves et dramatiques ; nous revenons toujours à la question du sens. Mais ici, au niveau de mon métier, de notre métier de libraire, c’est une invitation à revenir à ce qui le fonde, à ce qui ne sera pas détruit par les multinationales du divertissement, de la marchandisation des "biens culturels", à ce que nous partageons avec les auteurs, les éditeurs et les lecteurs, car nous sommes vraiment une espèce fabulatrice !
 
Crise, Kaïros, donc un temps aussi de grâce et de choix. L’avenir, pour nous libraires, sera donc toujours une vie de passion et de combat, sur un fil de rasoir économique, entre éditeurs, dont les plus importants doivent mieux partager, et lecteurs qui sont notre soutien, notre quotidien et notre raison d’être. »

Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à: confinement@livreshebdo.fr
 

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