L’archéologue agit comme un détective du passé. Une simple inscription peut venir chambouler la plus solide des constructions intellectuelles. Ce fut le cas lorsque George Smith déchiffra en 1872 une tablette en argile couverte d’écriture cunéiforme. Le choc fut si violent qu’il se mit à poil devant sa collègue. Que contenait donc cette tablette ? Elle racontait l’histoire de Noé et de son arche à l’époque des Babyloniens de Nabuchodonosor, soit un millénaire avant la datation attribuée à la Bible ! Cent trente ans après Smith, un collectionneur apporta au British Museum une autre tablette qui non seulement confirma l’antériorité du récit, mais se révéla un manuel d’instruction détaillé pour la construction d’une arche.
Ce texte, connu sous l’appellation "Tablette de l’arche", est au cœur de l’enquête passionnante d’Irving Finkel. Il connaît bien ces documents puisqu’il est responsable des 130 000 pièces conservées au British Museum en tant que directeur adjoint au département du Moyen-Orient. Avec lui, nous remontons le temps à l’époque de l’invention de l’écriture. Il explique la filiation linéaire du cunéiforme à l’hébreu ou comment les Judéens ont éprouvé le besoin d’intégrer certains récits babyloniens sur les premiers âges de l’humanité, là où leurs traditions faisaient défaut.
Bien mieux, à partir des éléments de cette tablette qui tient dans une main, il parvint, avec l’aide d’une équipe, à construire cette fameuse arche ronde, en forme de coracle, pour les besoins d’un documentaire télévisé. Cette recherche sur cette nouvelle version du récit diluvien se lit comme un feuilleton. On y revisite des lieux comme la tour de Babel qui ne furent pas, selon Finkel, des inventions littéraires forgées à des fins didactiques mais des bâtiments ayant bien existé. L’auteur a de plus distillé de nombreuses illustrations dans son livre et donne quelques éléments - très succincts, on vous rassure - pour comprendre l’écriture cunéiforme. Lui-même avoue avoir ressenti, comme George Smith, une montée d’adrénaline lorsqu’il découvrit un fragment manquant à la carte du monde babylonienne. Sans pour autant finir nu dans son bureau… L. L.