17 août > roman Royaume-Uni > Anna Hope

L’Histoire renferme encore tant de pans méconnus, tant de voix tues à jamais. Des écrivains, comme Anna Hope, y puisent leur matière littéraire. Le premier roman de cette jeune Anglaise s’intitulait Le chagrin des vivants (Gallimard, 2016). La Grande Guerre était soudainement éclairée par des femmes endeuillées. Ce sont d’autres oubliés qui ressuscitent dans La salle de bal : les patients d’asiles psychiatriques au début du XXe siècle. Certains ont été enterrés dans des fosses communes, d’autres ont subi de mauvais traitements ou sont devenus des morts-vivants, comme l’arrière-arrière-grand-père de l’auteure. Anna Hope s’est plongée dans les archives de l’hôpital High Royds et restitue ici cet univers de manière imaginaire.

Tremblotante, une femme s’apprête enfin à retrouver un homme dans l’Irlande des années 1930. Quel est leur lien, leur destin ? Il est étroitement lié à un manoir d’aliénés, au début du XXe siècle. Un millier de personnes y sont, bien souvent, enfermées contre leur gré. Tel est le cas d’Ella, une jeune ouvrière qui a cassé une vitre pour entrevoir l’horizon. Jugée "hystérique", elle est internée dans ce lieu à la réputation atroce. Ses congénères lui inspirent cette pensée d’Emily Dickinson : "Je me demande si ça leur fait mal de vivre."

L’ambiance, féroce, cruelle et impersonnelle, ne la protège de rien. Surtout pas du Dr. Fuller, aussi redoutable que tourmenté. Son projet préfigure les expériences médicales nazies. "Les faibles d’esprit et les pauvres chroniques" risquent d’entraîner "la décadence de la Nation". Quelques-uns peuvent être "améliorés", mais la plupart doivent rester enfermés. Mieux encore, pourquoi ne pas les empêcher de se reproduire ? Une théorie prônée par la Société eugénique, qui a même enthousiasmé Churchill ! "La stérilisation en vient à être considérée comme un simple rempart contre le mal."

Mais le médecin, qui lutte avant tout contre ses propres pulsions, ne connaît pas tous les ressorts de l’être humain. Dans la salle de bal de cet hôpital psychiatrique, il y a des surprises. Hommes et femmes s’y retrouvent une fois par semaine pour danser. Une respiration inespérée pour Ella, cette fugueuse fougueuse, qui y croise John. Il a tenté d’enterrer "sa vie d’avant", mais a sombré dans la dépression. Cette femme réanime en lui une flamme inespérée, alors il lui écrit de petits mots poétiques. Comment lui avouer qu’elle ne sait pas lire ?

Quelques rayons de soleil filtrent à travers ce purgatoire, dont l’amitié de Clem, la sensibilité de John ou l’harmonie de la nature. D’une grande beauté romanesque, le livre est composé comme une valse mélodieuse à trois voix. Elle nous renvoie à l’évolution de la psychiatrie et à la folie illimitée des hommes. Le mathématicien Karl Pearson est persuadé que "le jardin de l’humanité est envahi de mauvaises herbes…", mais "la vie était pleine d’espoir". K. E.

26.05 2017

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